Valérie Régnier – Responsable Sant’Egidio France – 2020
Rappels historiques.
Révoltés par les naufrages en mer Méditerranée et les milliers de morts aux portes de l’Europe, la Communauté de Sant’Egidio a travaillé dès 2013-2014 à une alternative qui permettrait l’arrivée sûre et légale sur le territoire européen de personnes vulnérables et en besoin de protection.
En décembre 2015, un premier Protocole d’accord a été signé en Italie entre Sant’Egidio, les Eglises Protestantes Italiennes et les Ministères des Affaires Etrangères et de l’intérieur italiens, pour ouvrir une première voie d’accès à l’Europe, du Liban vers l’Italie, pour des réfugiés syriens. Forts de leur réussite, les acteurs de ce projet-pilote ont pu ouvrir un second Couloir Humanitaire, de l’Ethiopie vers l’Italie pour les réfugiés érythréens, somaliens, sud-soudanais.
La France et la Belgique ont suivi le mouvement et à ce jour, plus de 3000 personnes vulnérables ont pu arriver en sécurité en Europe et bénéficier d’un accompagnement citoyen innovant.
En France, un premier Protocole d’accord a été signé, à l’initiative de la Communauté de Sant’Egidio et de la Fédération Protestante de France, le 17 mars 2017, pour la mise en œuvre du projet intitulé “Opération d’accueil solidaire de réfugiés en provenance du Liban (Couloirs Humanitaires)” prévoyant l’arrivée de 500 syriens et irakiens en provenance du Liban. Le ministère de l’Intérieur, le ministère des Affaires étrangères et la Communauté de Sant’Egidio, la Fédération protestante de France, la Fédération de l’Entraide protestante, la Conférence des évêques de France et le Secours catholique – Caritas France sont signataires de ce protocole.
A ce jour, 420 personnes, syriennes et irakiennes, particulièrement vulnérables, sont arrivées en France, de manière sûre et légale et l’objectif de 500 sera atteint d’ici début 2020 tandis qu’un nouveau protocole élargi à de nouveaux partenaires sera prochainement signé.
Les CH mettent en œuvre une approche globale allant de l’identification et la préparation du voyage au Liban à l’accompagnement jusqu’à l’intégration en France et garantissant une continuité relationnelle essentielle au travail de reconstruction et d’intégration des réfugiés.
Au Liban, les familles sont identifiées par une équipe de Sant’Egidio en lien avec plusieurs partenaires comme par exemple l’Association Jean XXIII (Opération Colombe) dont les volontaires vivent dans un camp de Tel Abbas de la région Akkar et connaissent les réfugiés des camps, garages ou squats, de cette région nord du Liban à la frontière syrienne. Les responsables et représentants d’Eglises chrétiennes, des communautés religieuses sur place, des associations spécialisées mais aussi des institutions comme le Haut-Commissariat aux Réfugiés (ONU) sont d’autres canaux de signalements de familles vulnérables.
Ces personnes sont rencontrées plusieurs fois par Sant’Egidio au Liban, dont au moins une fois sur leur lieu de vie, avant d’être accompagnées au Consulat français à Beyrouth pour y introduire une demande de visa D – asile. Depuis le 1er décembre 2019, la phase d’identification des familles du premier protocole est terminée. Plus de 650 personnes ont été présentées au consulat. 80% ont obtenu un avis positif à leur demande (20% ont été rejetées pour différents motifs). Après l’obtention de l’accord des autorités françaises, chaque famille doit attendre qu’un lieu d’accueil en France soit trouvé. Ensuite le voyage est organisé. Plus vite les lieux d’accueil sont trouvés, plus vite les familles peuvent voyager. 22 vols ont été planifiés avec la coopération d’Air France pour permettre aux 420 personnes (99 familles et 9 personnes isolées) de venir reconstruire leur vie en France.
Chaque arrivée à l’aéroport est un moment de fête, le point d’orgue d’un projet d’accueil innovant, où chaque famille prend un nouveau départ. Ghassan, père de famille syrien, arrivé en février 2018, s’en souvient : « Il y avait beaucoup de monde à l’aéroport, des inconnus qui nous souriaient et nous souhaitaient la bienvenue. Ils nous ont offert des fleurs, ils nous ont proposé à boire. Mes enfants ont tout de suite rencontré d’autres jeunes. Nous ne nous y attendions pas, c’est un souvenir merveilleux. La nuit de mon arrivée, j’en ai rêvé, et pendant un moment les cauchemars de la guerre se sont arrêtés ». Les réfugiés accueillis sont de nationalité syrienne (80%), irakienne (15%) ou palestinienne de Syrie (5%). Tous ont vécu au Liban une longue période de transit, de vie en pointillés. Le Liban, qui accueille plus d’un million de réfugiés sur son sol, n’offre aucune perspective d’avenir à ces familles : accès à la scolarité très difficile pour les enfants, interdiction de travailler pour les plus grands, soins très coûteux. Tous cherchent un avenir ailleurs, pour eux mais surtout pour leurs enfants. De fait, les personnes accueillies dans le cadre des Couloirs Humanitaires sont très jeunes ! Plus de 60% des personnes arrivées ont moins de 30 ans ; 40% sont des enfants de moins de 18 ans.
En France, les familles ont été accueillies dans 90 villes différentes, dont 13 villes ou villages qui accueillent déjà plusieurs familles. 70% des familles sont accueillies dans des villes ou villages de moins de 25 000 habitants et seulement 12 familles (sur la centaine arrivée à ce jour) sont accueillies dans des villes de plus de 250 000 habitants (dont 2 à Paris). 37 familles sont accueillies dans des villes de moins de 2 500 habitants et même dans des villages de moins de 1000 habitants pour 20 d’entre elles. Dans ces villes et ces villages, de magnifiques réseaux de solidarité se sont mis ou remis en route, et nous sommes heureux de comptabiliser aujourd’hui plus de 2000 bénévoles engagés auprès des familles. L’hébergement et l’accompagnement sont deux éléments essentiels de l’accueil. L’hébergement se traduit par la mise à disposition, à titre gracieux, d’un logement assurant l’indépendance et l’intimité des personnes. Cet hébergement s’articule avec l’accompagnement dans les démarches administratives et d’insertion porté par un collectif de bénévoles aidant les personnes accueillies à tisser les multiples liens humains de voisinage, professionnels, amicaux, administratifs, nécessaire à leur pleine intégration dans la société française.
Les CH sont aujourd’hui un modèle de participation citoyenne et d’intégration à l’échelle des familles et des quartiers permettant de prévenir les risques de découragement et d’isolement des nouveaux arrivés avec un effet de diffusion de la culture de l’accueil et de l’inclusion tout à fait essentiel en ce temps de hausse des discours de peur et de rejet de l’autre.
La réussite du projet repose sur l’engagement dans chaque ville et village d’accueil de bénévoles réunis en collectifs plus ou moins formalisés pour prendre sous leur aile une famille dans ses premiers pas en France. Pour le dire avec les mots du Pape François à l’occasion de la journée mondiale du migrant et du réfugié 2018, il s’agit d’accompagner les personnes vulnérables dans un mouvement qui aille « de l’accueil à l’intégration ». L’objectif est d’amener chaque famille à l’autonomie, notamment en termes de logement et de travail, résultat atteint pour beaucoup de familles dans un délai d’un an et demi environ après l’arrivée en France. Résultat facilité par le fait que grâce au protocole signé, à ce jour, 99% des familles ont obtenu une réponse positive à leur demande d’asile, ce qui permet de se concentrer pleinement aux enjeux de l’intégration (formation, recherche d’emploi etc.). Preuve de l’efficacité de ce modèle d’accueil et de la qualité de l’accueil reçu, la majorité des familles reste dans leur région d’accueil après leur année de ‘prise en charge’ malgré un lieu d’accueil parfois isolé. Certains emménagent dans la ville moyenne à côté mais ne se déplacent pas massivement vers la capitale ou d’autres grandes métropoles. De plus, aucun cas de ‘fugue’ (hors de France, dans un autre pays européen) n’a été recensé en plus de deux ans de projet.
Les CH remettent le lien humain et amical au cœur de l’accompagnement des réfugiés. Les réfugiés sont mieux entourés et leur intégration est largement favorisée. Les bénévoles aussi y voient un impact positif. Ils découvrent de nouveaux réseaux locaux de solidarité, redécouvrent des personnes de leur paroisse, de leur quartier, font connaissance avec leur voisin. C’est tout un tissu social qui se crée ou se recrée autour de l’arrivée d’une famille. La relation interpersonnelle, l’art du dialogue et de la rencontre sont privilégiés à chaque étape de ce projet qui est global, du Liban jusque dans les plus petits villages de France. Les Couloirs Humanitaires sont ainsi une alternative aux voyages de la mort mais aussi une alternative à l’habituel parcours du combattant des demandeurs d’asile en France, et souvent à leur grande solitude. Aucun parcours n’est sans difficulté et les défis sont nombreux, à commencer par l’apprentissage de la langue française. Mais ces défis et ces difficultés sont surmontés « ensemble » et dans un esprit fraternel, ce qui permet d’atténuer les effets que nous connaissons de l’exil : la solitude, l’angoisse, le découragement. Les CH prouvent que la solidarité est contagieuse car elle répond en effet à un besoin profond des personnes. En travaillant et en vivant ainsi, on empêche la désertification humaine et on injecte de la santé et de la stabilité dans la vie sociale et personnelle.
Avec la signature du deuxième protocole, Sant’Egidio France et ses nouveaux partenaires dont les Semaines Sociales de France entendent poursuivre et amplifier les résultats des Couloirs Humanitaires avec 300 nouveaux accueils sur deux ans.
Après 4 ans d’expérience en Europe, les Couloirs Humanitaires sont aujourd’hui reconnus et leur réussite saluée. Le 25 septembre 2019, les Couloirs Humanitaires ont notamment été récompensés par le prix Nansen pour les réfugiés du HCR, le Haut-Commissariat pour les réfugiés de l’ONU. « Ce prix nous le dédions à tous les réfugiés qui sont arrivés en Europe, et à tous ceux qui sont encore en attente de pouvoir entrer grâce à un couloir humanitaire. Ce prix nous pousse à faire encore plus » a affirmé Marco Impagliazzo, président de la Communauté de Sant’Egidio, en recevant le prix Nansen.
En France comme en Europe, la signature d’un second Protocole des Couloirs Humanitaires vers la France vise à permettre une pérennisation et une amplification des Couloirs Humanitaires tant en termes de capacité d’intégration et de prise en compte des besoins prioritaires des familles accueillies (augmentation des leviers d’intégration offerts), qu’en terme d’augmentation des capacités d’accueil en France et d’accompagnement des collectifs accueillants (affiliés à Sant’Egidio ou partenaires du projet).
Le deuxième protocole vise l’arrivée sûre et légale d’un nouveau groupe de 300 personnes syriennes et irakiennes en provenance du Liban et leur prise en charge en France par des collectifs de la société civile. Les 300 nouvelles personnes, de nationalité syrienne, irakienne, ou palestinienne de Syrie seront, comme pour le précédent protocole d’accord, de personnes en besoin de protection (éligibles au statut de réfugié ou à la protection subsidiaire selon des articles L.711 et L.712 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et de la Demande d’Asile en vigueur en France) et particulièrement vulnérables (enfants en bas âges, personnes ayant besoin de soins, présentant une pathologie grave, une situation de handicap, familles monoparentales, femmes seules et femmes seules avec enfants, personnes âgées, survivants de tortures et de violences liées au genre, personnes en danger dans le pays de transit etc.).
Cette nouvelle phase vise également la participation de nouveaux collectifs locaux grâce à la mobilisation des réseaux des nouveaux partenaires comme les Semaines Sociales de France s’engageant sur un nombre d’accueils chiffré, tout en bénéficiant de l’expérience acquise au cours de la première phase et notamment de l’expertise de Sant’Egidio en matière d’accompagnement des nouveaux collectifs d’accueil sur tout le territoire.
A noter qu’il est également prévu que les familles réfugiées bénéficiaires du premier Protocole, installées aux quatre coins de la France, à Rennes, Vannes, Montpellier, Lille, Paris, Lyon, Annecy, Dreux, Tours, Castres, ailleurs, soient également impliquées à leur tour dans l’accueil des nouvelles familles réfugiées, comme cela se fait déjà à certains endroits, et deviennent partie intégrante des réseaux de connaissance mobilisés dans l’accueil des familles.
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