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Dossier La Tribune du Christianisme social
Les souffrances dans le monde qui nous entoure sont innombrables : risque de famine dans la corne de l’Afrique et au Sahel, décompte macabre des milliers de migrants morts ou portés disparus alors qu’ils traversaient la Méditerranée, situations de guerre au Proche Orient, en Ukraine, au Haut-Karabakh, réchauffement climatique et extinction des espèces sans précédent. La liste est longue, et loin d’être complète. Dans ces situations tragiques, les injonctions des citoyens envers les décideurs politiques ne manquent pas : appel à favoriser les énergies propres et à stopper le pétrole élaboré par les professionnels de santé, appel à la protection des migrants, appel à une trêve ou à une paix négociée au Moyen Orient ou en Ukraine, appel d’urgence pour prévenir la famine dans le monde. Ces appels humanitaires proviennent de décideurs politiques mais aussi de citoyens, mobilisés face à ces défis inédits, dans le souci de promouvoir un monde fraternel et solidaire, paisible, respectueux de l’environnement et des droits humains. Ces actions sont louables, et portent des fruits. Mais…
Ne faudrait-il pas, nous remettre en mémoire la phrase célèbre attribuée à la fois à Gandhi et à Nelson Mandela : « Ce qui est fait pour moi, mais sans moi, est fait contre moi ». Elle nous dit d’inclure les personnes aidées dans les décisions qui les concernent, de donner à chacun le pouvoir d’agir, de penser, de proposer. Le levier de la participation citoyenne est très puissant et favorise l’émancipation de chacun. Il est, en général encouragé, mais il peut conduire à l’individualisme et il atteint vite ses limites si chacun participe aux décisions de façon isolée. Il se révèle fécond surtout lorsqu’il est associé à un second levier : celui de la mise en réseau des personnes qui s’engagent, de leur inclusion dans un rapport de solidarité et de dialogue, dans un collectif. On est loin des injonctions unilatérales, à sens unique, mais dans un modèle ou chacun contribue avec ses compétences, son point de vue et son pouvoir d’agir.
Si on en revient aux appels humanitaires des citoyens mentionnés ci-dessus, on constate qu’ils s’éloignent souvent de ce modèle vertueux : les appels envers les décideurs sont souvent des injonctions unilatérales, provenant des citoyens et de diverses associations et orientés vers les décideurs qui sont sommés de régler les problèmes mentionnés. La participation citoyenne se limite trop souvent à la rédaction ou à la signature de ces appels, comme si, une fois la pétition signée, le relais était transmis à d’autres, experts de ces questions. Les citoyens semblent ainsi limiter spontanément leur propre rôle comme si la puissance d’agir était uniquement aux mains des « décideurs ».
Leurs appels ne seraient-ils pas encore plus efficaces si les citoyens eux-mêmes s’en emparaient dans leur vie quotidienne ? Un appel à agir pour la paix n’a-t-il pas plus de sens encore si les citoyens qui le formulent s’engagent à bâtir la paix et la cohésion sociale dans leur quotidien, en réglant les conflits avec leurs voisins, leurs collègues ou au sein de leur famille, si chacun renonce à employer la violence verbale avec son entourage ? Signer un appel à limiter le réchauffement climatique n’a-t-il pas plus de portée si chacun limite son propre usage des énergies fossiles en prenant les transports en commun ou le vélo plutôt que la voiture ? Interpeller les décideurs au sujet des migrants n’est-il pas plus percutant si chacun s’engage à les accueillir en les insérant dans un tissu relationnel ? Un appel à la solidarité n’a-t-il pas plus de sens si chacun s’engage à vivre de façon plus frugale et sobre. Ces appels et cet engagement ne seraient-ils pas plus efficaces s’ils émanaient de personnes reliées entre elles, déjà agissantes à la fois personnellement et collectivement ?
Il est temps que la dynamique de la participation citoyenne s’élargisse, ne se limitant plus seulement à une implication de chacun dans les décisions qui le concernent directement. Cette implication doit devenir l’agir de chacun, dans son quotidien, dans le sens de la fraternité universelle. C’est avec ce double agenda, impliquant décideurs et citoyens, que la politique, y compris internationale, sera nôtre.
Catherine BELZUNG
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