Deux questions posées par l’actualité dans le monde : la démocratie est-elle nécessaire au développement ? La démocratie peut-elle faire vivre ensemble des communautés de cultures différentes ?
Démocratie et développement
Depuis juillet 1953, date de la fin de la guerre, la Corée du Sud avait connu une croissance remarquable et était devenue un des petits dragons d’Asie qui exportait des produits de qualité à travers le monde. Mais, à la fin des années 1970, universitaires, politiques et entrepreneurs se demandaient si la Corée pourrait aller plus loin sous le régime autoritaire alliant État et grandes entreprises qui avait conduit jusqu’alors la croissance ? La Corée a opté pour la démocratie au début des années 1980. Elle a poursuivi son développement et se classe en 2020 au 23èmerang des pays du monde pour son niveau de démocratie, juste devant la France classée 24ème (1).
Cependant, Il y a deux ans, Xi Jinping, le président de la Chine, se félicitait de ce que son pays avait démontré qu’il n’y avait pas besoin de la démocratie pour se développer et, récemment, il a fait approuver un plan qui, annonçait-il, allait faire de la Chine la première puissance du monde. Sur ce dernier point, il a certainement raison, mais sur le premier, c’est confondre croissance et développement. L’homme ne se réduit pas à produire et consommer, il ne peut se contenter de la croissance du PIB. Le PIB ne dit rien de la manière dont la richesse créée est distribuée et il n’est pas conçu pour rendre compte de ce qui n’est pas mesurable et qui, pourtant, tient si fort au cœur des hommes : la liberté de choisir, de dire son opinion, de manifester accord ou désaccord, de n’être pas sous surveillance constante. Il attend de l’État qu’il respecte et protège ses droits, les droits humains formulés en 1789, en 1948, en 1966 et sans cesse affinés depuis (2) .
Point de vue d’Occidental diront certains. Mais n’est-ce pas ce qu’ont réclamé les printemps arabes, les Birmans qui refusent le coup d’État militaire, les mouvements qui en Afrique n’acceptent pas que les chefs d’État modifient la constitution pour rester au pouvoir.
Démocraties et pluralisme
Tâche difficile pour chaque État que de faire vivre ensemble des êtres humains égaux en droits, libres et divers avec en chacun un sens profond de ce qui est juste ou injuste. Les pays démocratiques se sont tous dotés à cette fin de constitutions qui garantissent les droits individuels et où les différentes fonctions de l’État, élaborer des lois, mettre en œuvre ces lois et conduire la politique du pays, rendre la justice, sont séparées pour éviter l’arbitraire et les abus de pouvoir.
Cet équilibre fonctionne et a montré sa robustesse encore tout récemment lorsque Donald Trump a voulu utiliser la justice pour faire annuler les élections dans les États qui lui avaient été défavorables ou que la Cours suprême de l’Inde a suspendu les lois sur la réforme de l’agriculture qu’avaient fait voter le gouvernement. Équilibre renforcé par les multiples instances de dialogue et de contrôle qui se créent au fil des ans entre citoyens et gouvernants au niveau local et national, par l’action des organisations non gouvernementales où des citoyens prennent en charge des responsabilités qu’ils assument en complément de ce que l’État fait ou ne fait pas.
Certes, la démocratie est robuste, mais ses institutions ne suffisent pas pour gérer le pluralisme inhérent à chaque groupe humain, pluralisme dont les caractéristiques évoluent avec le renouvèlement des générations et les migrations, pluralisme qui n’est acceptable par tous que si l’État et la société civile entretiennent en permanence une culture de l’altérité, une culture de relations apaisées à celui qui est autre, qui est différent (3) .
L’Inde a montré pendant plus de 70 ans que pluralisme et démocratie pouvaient vivre dans un pays où la diversité est partout, religieuse, ethnique, entre les castes ; cela grâce à une culture de l’altérité construite au fil des siècles entre les différentes composantes de la société. Cette culture est aujourd’hui mise à mal du sommet de l’État par le président Modi qui insuffle délibérément aux Hindous la haine des chrétiens et des musulmans, ce faisant il prend le risque de détruire la démocratie indienne.
« Pour que la loi soit respectée et les libertés individuelles soient préservées, il faut que, dans chaque pays, l’État, les différentes communautés et chacun investissent ensemble pour que tous ceux qui y vivent trouvent leur place »
En Europe, où les sociétés sont désormais plurielles, démocratie et pluralisme ne survivront qu’ensemble ; entretenir la peur et la haine ne peut que détruire la société. Pour que la loi soit respectée et les libertés individuelles soient préservées, il faut que, dans chaque pays, l’État, les différentes communautés et chacun investissent ensemble pour que tous ceux qui y vivent trouvent leur place : investir dans la formation, investir dans l’animation des quartiers, investir pour que les jeunes puissent vivre de leur travail et non des trafics, investir dans l’accueil des migrants pour qu’ils apprennent la langue, pour qu’ils soient logés décemment et puissent travailler, investir dans le dialogue et des fêtes partagées. L’Allemagne fait cela mieux que la France.
Il s’agit moins de se protéger et de se défendre que de de rechercher ensemble le bien commun dans une multitude d’actions souvent modestes.
Yves Berthelot, rédacteur des SSF
—
1. Classement que l’Economist Intelligence Unit, lié au groupe The Economist, établit chaque année depuis 2006 sur la base de 60 indicateurs évaluant le processus électoral et le pluralisme, les libertés individuelles, le fonctionnement du gouvernement, la participation des citoyens et la culture politique. Source :https://atlasocio.com/classements/politique/democratie/classement-etats-par-indice-de-democratie-monde.php
2. 1789 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 1948 Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU), 1966 Pacte sur les Droits économiques, sociaux et culturels, et Pacte sur les droits civiles et politiques (ONU)
3. Voir Emmanuel LEVINAS, Altérité et transcendance, Fata Morgana, Paris 1978