L’Europe au défi des identités meurtrières

Le continent européen vit au rythme de nouvelles menaçantes pour son unité et sa paix intérieure : Brexit, menaces sur l’Irlande et l’Ecosse, affirmation des démocraties illibérales à l’Est, montée ou prise pouvoir des partis nationalistes et ouvertement eurosceptiques un peu partout sur le continent, crises sociales dans différents pays (France, Allemagne…), montée des radicalismes religieux et antireligieux…

Tous ces phénomènes ont en commun de construire une identité commune – à une nation, une région, une religion, une classe sociale – par opposition à un ennemi commun. Ainsi les partis eurosceptiques fondent leur existence, l’affirmation d’eux-mêmes et leur capacité à unir les mécontents sur la dénonciation d’un tiers, supposé être le responsable de tous les maux. En France le Front national a toujours dénoncé deux acteurs « Bruxelles » d’un côté, les migrants de l’autre.

« Les Gilets jaunes se sont ralliés sur la diabolisation de deux figures symboliques, le président d’un côté, la police de l’autre. »

Les fanatismes religieux de leur côté manipulent différentes figures de l’ennemi de Dieu : l’Occident, les « infidèles » pour l’islamisme radical ou les chrétiens progressistes voire les intégristes musulmans (le grand remplacement) pour le christianisme intégrisant. Ces figures identitaires deviennent peu à peu tellement prégnantes que l’on assiste à une sorte de balkanisation du continent européen traversé par plusieurs lignes de fractures. Les unes, traditionnelles, sont les bonnes vieilles frontières, les autres dessinent une sorte de peau de léopard qui traverse l’ensemble des pays : les « laissés pour compte de la croissance » c’est à dire les très pauvres et les « gilets jaunes » (ce ne sont pas les mêmes!), les ultra citadins et les territoires délaissés, les migrants et leurs ethnies, les religions dans leur versant extrémiste etc. Le problème, au bout de cette logique, c’est bien évidemment l’affrontement violent, la guerre larvée.. ou pas, comme c’est le cas par exemple en Ukraine. Et comme ce fut le cas il y a maintenant trop longtemps pour que la crainte d’un retour de la barbarie fonctionne. Nous, européens, avons la mémoire courte.

Mais quelles sont les raisons de ces replis frileux, voire haineux sur ces identités meurtrières si bien décrites par Amin Maalouf et théorisées par René Girard ? Elles sont en fait multiples mais on peut en dégager quelques unes : tout d’abord la montée – ou la mise à nu – d’inégalités de richesses dans un contexte de croissance faible. Ensuite le sentiment d’un abandon, d’une défection, ressenti comme une véritable trahison de la part de ceux qui sont censés représenter le corps social.

Ainsi le président Macron fraîchement élu suscite une colère d’autant plus grande qu’il a incarné un sursaut national et européen alors qu’il met en œuvre une politique fiscale et sociale qui rompt le pacte électoral. Mais c’est tout aussi vrai des responsables religieux qui « disent mais ne font pas » !

Mais il faut aller un peu plus loin encore. Il n’y a plus, on l’a souvent dit, de « grand récit » contemporain qui incarnerait un idéal commun. Ce fut le cas au moment où s’est construite l’Europe : celle-ci se construisait sur une promesse de paix et de réconciliation alors que la guerre venait de détruire des dizaines de millions de personnes. Paix, justice, réconciliation et construction de la maison commune. Avec de grandes figures pour incarner cet espérance. Derrière ce récit, se situait une conception du monde et des relations humaines héritées du christianisme ou du meilleur de la réflexion politique.

« Sans doute devons-nous aujourd’hui réaffirmer les choix éthiques et anthropologiques qui fondent notre penchant pour l’Europe : il s’agit de construire des identités ouvertes. »

Des identités qui tirent leur force de cette ouverture même. L’entreprise n’est pas simple. Elle repose sur le risque de la rencontre de l’autre comme promesse de plus être pour lui et pour moi. En ce sens les chrétiens ont raison de se battre en faveur des migrants et de leur apporter concrètement secours. En le faisant ils contestent un ordre économique autosuffisant et excluant, ils entrent en lutte avec des identités closes.

Par leurs actions ils construisent aussi les innombrables récits de ces rencontres où l’apport mutuel est le fruit d’un échange à égalité et qui sont le socle de l’identité européenne dans ce qu’elle a de meilleur.

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Jean-Pierre Rosa, rédacteur des SSF

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