Sommes-nous dignes des héros que l’histoire et l’actualité nous donnent en exemple ? L’hommage national rendu au colonel de gendarmerie, Arnaud Beltrame, assassiné dans un supermarché de l’Aude pour s’être proposé comme otage à la place d’une jeune femme menacée par un terroriste djihadiste qui avait déjà tué trois personnes, nous oblige à nous poser la question. Le discours officiel du président de la République fit appel à notre esprit de résistance, à un héroïsme français que tant de figures ont illustré. Porté à une telle hauteur, le « modèle » peut décourager. Qui peut dire quel serait son comportement dans une situation si extrême, qui peut présumer de son courage, alors que tant d’entre nous n’osent pas intervenir quand ils sont témoins d’une situation de violence dans un transport en commun ou dans la rue ? Qui peut être sûr qu’il serait prêt à risquer sa vie pour un parfait inconnu ? Qui peut prétendre qu’au cours d’épisodes terribles de notre histoire, il se serait situé du bon côté, du côté de la justice et de la dignité de l’homme ?
La question est taraudante, mais elle ne doit pas nous paralyser, nous empêcher de lire, dans cet exemple « extra-ordinaire », des pistes d’action au quotidien. L’héroïsme n’a pas de nationalité, ni de profession réservée. Il est la capacité d’un homme ou d’une femme, animé(e) d’une force d’âme inouïe, à se dépasser pour un idéal plus grand que soi. L’héroïsme peut aussi se vivre au quotidien, dans le secret de vies marquées par la maladie, le dénuement, les épreuves …
Arnaud Beltrame – qu’il me soit pardonné d’entrer par effraction dans sa conscience ou de déformer sa véritable pensée – n’a pas d’abord recherché la mort ou même le sacrifice (pas plus qu’en d’autres circonstances le P. Christian de Chergé de Tibbhérine ou le P Jacques Hamel n’avaient voulu le martyre). L’officier, me semble-t-il, a agi par « esprit de service », tout en sachant pertinemment que cela l’exposait à des risques majeurs.
Or l’esprit de service, n’est-ce pas une valeur à taille humaine, à portée de chacun de nous, quelle que soit sa position et son rôle dans la société ? L’esprit de service, face au danger terroriste, ne concerne pas seulement les gouvernants ou les forces chargées de la sécurité : la vigilance est l’affaire de tous. Mais, surtout, en amont, cet esprit invite à rechercher la cohésion entre toutes les communautés, à ne pas souffler sur les braises, à ne pas entretenir les amalgames et les confusions, à mieux connaître les idées et les convictions des autres, à agir pour plus de justice et de fraternité. L’esprit de service, auprès des jeunes générations, n’est-ce pas de leur proposer autre chose qu’un avenir de consommation et d’individualisme exacerbé, alors que beaucoup cherchent à donner un sens à leur vie, une direction à leurs engagements ? N’est-ce pas faire le choix de s’effacer un peu pour leur laisser plus de place, et leur faire confiance.
Le colonel Bertrame est mort pour la France. Honneur lui est justement rendu. Paradoxalement, il montre un chemin à ceux qui veulent que les Français vivent et vivent mieux ensemble, en rejetant les idéologies mortifères.
Dominique Quinio