S’il fallait éditer un dictionnaire des mots de l’année, nul doute que la section médecine y occuperait une large place : personne n’ignore désormais ce qu’est une pandémie, quels sont les méfaits d’un coronavirus qui, au fil des mois, s’est féminisée pour devenir la covid 19 ; il y eut le confinement et le couvre-feu qui sortirent du chapitre guerre et paix; le masque n’était plus seulement un attribut de carnaval ; les gestes barrières ont envahi le vocabulaire quotidien : la terrible distanciation sociale, qui n’avait pas attendu l’attaque du virus pour blesser notre société, est devenue plus prudemment distanciation physique. Les maths, les statistiques et les probabilités furent aussi abondamment convoqués pour évaluer les taux de contamination, les seuils d’engorgement des services de réanimation, pour calculer le nombre de clients autorisés à être présents dans un même magasin ou de fidèles dans un même lieu de culte. Dans cette arithmétique étrange, un couple ou une famille confinés ensemble pouvaient compter pour un ! Il y eut des mots comme inquiétude, incertitude, peur, découragement, colère parfois. Et douleur, quand la maladie, la mort ou le chômage sont venus directement toucher les personnes…
Mais s’il est un mot qui colore cette année particulière, c’est celui de méfiance, ou de défiance. Le citoyen français de 2020, tel qu’on l’observe, semble en avoir fait une règle de vie. Ou plutôt une règle de discours, car dans les faits, il s’est souvent montré très observant, très respectueux des consignes. Il semble de bon ton de douter des autorités, surtout si elles sont politiques. Quand s’y ajoute une suspicion à l’égard de la science, le phénomène s’amplifie. Nous réclamons des certitudes, des données précises, factuelles, de la transparence, mais nous nous agaçons quand, les connaissances évoluant, les discours et les recommandations changent.
L’arrivée des vaccins en est une illustration flagrante, particulièrement spectaculaire en France. Ils ne seront pas obligatoires. S’il est naturel d’attendre des autorités qu’elles soient claires et pédagogiques, il faut également que chacun se sente acteur de la solution qui pourrait être apportée à la crise sanitaire, si une partie importante de la population accepte de se faire vacciner. Il nous faut donc, pour nous-mêmes et pour les autres, analyser la balance bénéfices/risques.
Comment faire vivre la démocratie sans un minimum de confiance à l’égard de ceux qui ont été élus pour gouverner ? A l’égard de ceux qui disposent d’une autorité ? Une confiance qui n’est pas un blanc-seing ; une confiance lucide, critique, constructive. VersLeHaut, le think tank consacré à l’éducation, mesure depuis cinq ans la confiance des jeunes ; 74% sont confiants dans leur propre avenir (un quart de jeunes qui ne le sont pas, c’est beaucoup), un chiffre stable malgré l’actualité. Ils sont 39% à avoir confiance dans les responsables politiques pour défendre leurs intérêts, un niveau sans précédent depuis le lancement du baromètre (+15 points). Mais 39% seulement !
« Si l’on veut que le monde change, il faut changer soi-même et s’engager, personnellement et collectivement, jouer à plein son rôle de citoyen, bâtisseur de relations sociales justes et apaisées. »
Peut-être, après tout, n’avons-nous pas assez confiance en nous-mêmes, en nos propres capacités à agir ? Tel est le sens du Manifeste de l’engagement, élaboré par les Semaines sociales de France à l’issue de la rencontre de novembre. Si l’on veut que le monde change, il faut changer soi-même et s’engager, personnellement et collectivement, jouer à plein son rôle de citoyen, bâtisseur de relations sociales justes et apaisées. C’est nécessaire, c’est possible, c’est urgent.
Dominique Quinio, présidente des Semaines sociales de France