« En février dernier, 3 622 personnes sans abris ont été dénombrées au cours de la Nuit de la solidarité à Paris »
Une traversée de Paris en métro, un samedi matin, permet au voyageur qui n’est pas penché sur son téléphone, d’apercevoir furtivement, au bout des quais peu fréquentés, là où il n’y a pas de sortie, des corps couchés à même le sol, protégés de la lumière et de la curiosité par une simple couverture, au mieux un duvet. Parfois, ils sont plusieurs. On aperçoit une dame, aussi, déposant discrètement un sac (de provisions ?) près d’une forme endormie.
Défilent là, à la vitesse de la rame, quelques unes des 3 622 personnes sans abri, dénombrées au cours de la Nuit de la solidarité à Paris, en février dernier. 356 équipes, vêtues de chasubles bleues, avaient alors sillonné les rues et les couloirs de métro, les parcs et jardins, les talus du périphérique, les caves et les halls d’immeubles pour ce recensement particulier. D’autres villes, Grenoble, Rennes ou Metz par exemple, ont fait la même démarche, rassemblant bénévoles, personnels de la ville, travailleurs sociaux.
« Il s’agit d’établir une typologie plus précise des personnes à la rue et d’essayer d’entendre leurs besoins, à l’aide d’un questionnaire anonyme. »
Une manière d’identifier, dans la grande métropole, les habitants dispersés d’une petite ville ignorée, habitants qui n’ont nul endroit où reposer leur tête. Et ne sont pas pris en compte, ceux, migrants pour la plupart, qui vivent sous des tentes de fortune dans certains lieux de la capitale.
Ce peuple sans domicile fixe est très divers : des jeunes qui ne sont pas dans l’errance depuis très longtemps et qui ne connaissent guère les dispositifs qui pourraient les aider ; des « anciens » qui parfois ne veulent pas être hébergés ; des femmes, de plus en plus nombreuses, qui vivent en totale insécurité… Beaucoup disent souffrir de problèmes de santé.
« Ces renseignements nous permettent de prendre conscience de cette extrême précarité »
Ces renseignements doivent permettre de mieux ajuster les propositions des municipalités. Mais aussi de nous faire prendre conscience de cette extrême précarité. Comme, le fait de manière plus tragique encore, le collectif des Morts de la rue qui, chaque année, fait part des décès de ces personnes dont on ne connaît ni le nom parfois, ni l’âge exact, ni l’histoire…
Ce focus sur les SDF ne suffit pas à appréhender toute la question du logement pour les personnes les plus modestes dans notre pays : les logements insalubres (l’effondrement d’immeubles à Marseille ou des incendies en région parisienne en témoignent), l’habitat indigne, le mal logement que de nombreuses associations mettent en lumière pour proposer des solutions. Sans compter la difficulté des jeunes à trouver un logement à loyer abordable qui leur permette de prendre leur autonomie, ou le peu de solutions, au cœur des métropoles, pour les familles avec enfants.
« Le logement fait partie de ces conditions nécessaires pour que les personnes et les familles vivent dignement. »
Si l’on se réfère à la notion de « bien commun », telle que définie dans l’encyclique Mater et Magistra, « l’ensemble des conditions sociales permettant à la personne d’atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement », comment ne pas voir que le logement (comme l’éducation ou la santé) fait partie de ces conditions nécessaires pour que les personnes et les familles vivent dignement.
Le gouvernement vient d’annoncer plusieurs mesures, notamment la pérennisation de 6 000 des 14 000 places d’hébergement d’urgence, des actions particulières en direction des familles et des enfants à la rue, en relançant – en partie – l’encadrement des loyers etc. Un engagement nécessaire. Mais chacun à son niveau peut agir sur ce dossier, en soutenant des associations spécialisées comme, selon des modalités différentes, la Fondation Abbé Pierre ou Habitat et Humanisme. Les propriétaires qui louent des logements ont un rôle à jouer; peut-être devons-nous aussi nous interroger sur nos réactions, quand sont prévus dans nos quartiers des logements sociaux ou très sociaux… Grandes actions, petits pas ; plans politiques d’envergure, implication citoyenne au quotidien se conjuguent au service d’un droit humain fondamental.
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Dominique Quinio, présidente des SSF