Le délit de fraternité

Médias et associations se sont félicitées de voir le conseil constitutionnel retoquer, en juillet dernier le « délit de solidarité ». Il faut dire que la partie était mal engagée : instituer dans le droit français, un des plus solidaires, un délit de solidarité ne pouvait que susciter une vive opposition d’un bout à l’autre de l’échiquier politique.

En opposant au délit de solidarité le principe de fraternité et en rendant celui-ci constitutionnel, le Conseil semble avoir fait un grand pas en avant. D’un côté en limitant la panoplie des dispositifs rendant toujours plus difficiles la simple aide humanitaire envers les populations migrantes. De l’autre en inscrivant pour la première fois le principe de fraternité dans la constitution et en faisant un principe régulateur et donc opposable, au même titre que la liberté ou l’égalité.

Il est vraisemblable que ce premier pas constitue bien en effet une « première » dans la mesure où le principe de fraternité est désormais appelé à être régulièrement invoqué dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, que ce contrôle soit exercé en amont ou en aval.

Mais la plupart des commentateurs n’ont pas manqué de faire remarquer combien cette décision était minimaliste. Aide humanitaire à l’étranger ? Certes, mais à l’intérieur des frontières. Il ne faudrait pas que les fraternels se transforment en passeurs !

En réalité, peut-il en être autrement ? La fraternité n’est pas seulement un engagement en faveur d’autrui, elle est aussi contestation du sort qui lui est fait. Sa dimension subversive lui est essentielle. Sans cette dimension d’insolence, de contestation, de révolte face à l’injustice du désordre établi, la fraternité risque bien de verser dans l’humanitaire mou.

Au moment où nous célébrons le centenaire de l’armistice de 1918, n’oublions pas les fraternisations entre ennemis des tranchées. Celles-ci, n’en déplaise à l’historiographie officielle, ont été nombreuses et durables sur l’ensemble des fronts et ce tout au long de guerre . La censure sous toutes ses formes – notamment du courrier, et la menace de la condamnation à mort ont fait reculer les récits de ces épisodes étonnants.

Car c’est là l’essence de la fraternité : elle prend appui sur les solidarités établies, la famille, la condition sociale, la nation, l’appartenance ethnique ou religieuse, pour les dépasser en postulant que celui-là, qui est exclu de la communauté humaine, a pourtant vocation à en faire partie de façon éminente, comme un frère. Joignant le geste à la parole, elle prend le risque de la fraternisation. Et cela, aucune disposition constitutionnelle ne pourra jamais le favoriser et encore moins l’endiguer, sauf à faire de la fraternité elle-même un délit.

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Par Jean-Pierre Rosa, rédacteur des SSF

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