Immigration, une déchirure intérieure

La loi sur l’asile et l’immigration vient d’être votée en première lecture, le 22 avril, après des débats enflammés, y compris au sein de la majorité gouvernementale. Pour des raisons diamétralement opposées, elle est critiquée par la droite et la gauche. De nombreuses associations s’en inquiètent, déplorant qu’il n’y ait pas eu de véritable concertation. « Une loi mauvaise et inutile », a ainsi jugé Véronique Fayet, présidente du Secours catholique sur la radio France Bleu.

Au-delà du vote, le sujet reste brûlant. La ville de Gap en a fait l’expérience en cette fin du mois d’avril. Elle a vu s’opposer des militants défendant l’accueil des immigrés qui tentent d’entrer en France en franchissant les Alpes et un groupuscule d’extrême droite, Génération identitaire, prétendant fermer la porte aux migrants au col de l’Echelle. Un rassemblement pacifique s’est tenu le 28 avril au cœur de la ville pour signifier que « l’hospitalité des migrants n’a pas de frontière ».

L’évêque du lieu, Xavier Malle, en soutien des communautés de son diocèse fortement engagées auprès des migrants, notamment mineurs, déplore toute surenchère : « Nos montagnes ne sont pas un terrain de jeu politique où pourraient librement s’affronter des personnes, d’un bord comme de l’autre, instrumentalisant les migrants ».

Quels que soient les contours de la nouvelle loi, elle butera sur ces visions opposées sur ce que doit être l’attitude de la France face aux flux migratoires. Faut-il ouvrir les frontières, faut-il les fermer pour mieux protéger les populations actuellement présentes sur notre sol ? La déchirure traverse l’Europe entière et chaque citoyen.

Les chrétiens ne peuvent rester indifférents à ces débats, secoués qu’ils sont dans leur conscience par le devoir évangélique d’accueillir l’étranger et les injonctions du pape François. Même si ce dernier, en précisant ses propos, rappelle le droit des nations à réguler les flux migratoires, en respectant la dignité des personnes. Comme beaucoup de Français, ils s’inquiètent de l’arrivée de populations dans des régions où l’intégration des précédentes générations immigrées ne s’est pas faite. Ils s’inquiètent en outre de la présence plus visible de l’islam. Un groupe de cadres chrétiens parisiens, le groupe Saint Germain, prenant acte de ces dissensions, vient ainsi de publier un texte « Pour une immigration maîtrisée et une intégration réussie », mêlant questions, convictions et propositions, qui peut nourrir un éventuel débat dans les communautés.

Nous sentons bien en chacun de nous la tentation de privilégier telle ou telle partie du message de l’Eglise : celle de l’accueil ou celle de la prudence. Naguère une fameuse phrase de Michel Rocard affirmant que « la France ne pouvait accueillir toute la misère du monde » connut un même sort. Ces mots qu’il reprit à plusieurs reprises servirent tour à tour à justifier une politique migratoire de fermeté ou à la critiquer: « La part que la France en a (de cette misère du monde), devait-il préciser plus tard, elle prend la responsabilité de la traiter le mieux possible ».

Il s’agit donc de prendre sa part et de « la traiter le mieux possible » : voilà au moins un objectif politique et personnel sur lequel se mettre d’accord et agir. En matière de logement, de travail, d’éducation, de partage de l’espace public, de dialogue : traitons-nous les personnes immigrées, y compris celles qui sont présentes depuis longtemps sur notre territoire et leurs enfants, comme nous devrions les traiter ? Définir de dignes conditions d’accueil serait un premier pas. A condition que ce ne soit pas seulement l’affaire des autres, des responsables politiques ou associatifs, mais la mobilisation de notre propre responsabilité. Quelle part prenons-nous dans l’accueil de ceux que la violence, la misère ou les catastrophes naturelles chassent de chez eux ?Quelle part prenons-nous dans l’accueil de ceux que la violence, la misère ou les catastrophes naturelles chassent de chez eux ? Quelle place leur faisons-nous, quelle place leur laissons-nous ? Quel risque acceptons-nous de prendre, collectivement et individuellement ? Partager la réalité de l’accueil et de l’intégration, c’est autoriser une hospitalité plus large.

Dominique Quinio

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