Il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune

Depuis plusieurs semaines le mouvement des « Gilets Jaunes » révèle de profondes fractures, anciennes et qui s’agrandissent encore, fractures sociales et territoriales, entraînant des sentiments d’abandon et d’exclusion, de délaissement, d’injustice et d’humiliation. Ce mouvement exprime une colère réelle pouvant, pour certains, générer une violence destructrice, comme une réponse à la violence sociale vécue par beaucoup.

Ce mouvement ne laisse pas les chrétiens indifférents. Dans son encyclique Laudato Si’, le pape François nous invite à « s’asseoir pour penser et pour discuter avec honnêteté des conditions de vie et de survie d’une société, pour remettre en question les modèles de développement, de production et de consommation » (Laudato Si’, 138, 2015).

L’heure est venue de mener ce débat et les chrétiens doivent y prendre toute leur place en rappelant les balises qui sont les leurs.

Première balise, l’option préférentielle pour les pauvres. Oui, la transition écologique est nécessaire, mais pour le pape François « tout est lié », « tout est intimement lié », comme il l’écrit maintes fois dans Laudato Si’. Nous devons entendre à la fois le cri de la Création et le cri des pauvres. L’écologie est un appel à la conversion des modes de vie, pas une punition infligée aux plus pauvres qui sont déjà les premières victimes de la dégradation de leur environnement et de leur cadre de vie. Le pape nous rappelle qu’« une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » (LS 49). Il n’y aura pas de transition écologique sans justice sociale !

Notre modèle économique qui pousse à la recherche du profit est efficace pour créer de la richesse, mais cette richesse doit être mise au service de tous les hommes : « En réalité, aucun profit n’est légitime lorsque fait défaut la vision de la promotion intégrale de la personne humaine, de la destination universelle des biens et de l’option préférentielle des pauvres » (Œconomicæ et pecuniariæ quæstiones, 10, 2018).

Au service de l’Homme pour assurer la dignité de la personne, deuxième grande balise de la pensée sociale de l’Église. Chacun doit pouvoir vivre dignement, non par la multiplication des aides et subventions diverses, mais grâce à son travail qui contribue à le créer comme personne et à lui donner sa fierté et sa dignité. « C’est l’homme en effet qui est l’auteur, le centre et le but de toute vie économico-sociale » (Vatican II, Gaudium et spes, 63, 1965). Alors que les résultats des entreprises s’améliorent, et que les rémunérations de certains dirigeants s’envolent, il est temps que cela se traduise aussi en augmentations salariales pour les salariés, qui produisent la richesse de leur entreprise. Les négociations de branches et d’entreprises doivent permettre un meilleur partage de la richesse produite entre actionnaires et salariés. Une attention particulière doit être portée à la situation des travailleurs les plus précaires ou à temps partiel imposé.

La préservation du bien commun, compris comme « le bien du ‘’nous tous’’ constitué d’individus, de familles et de groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale » (Benoit XVI, Caritas in veritate, 7, 2009), s’oppose à la fracture territoriale de plus en plus béante dans notre pays. Depuis 1980, année du dernier budget en équilibre, jamais la richesse produite n’a été aussi élevée, jamais le montant prélevé par les impôts, taxes et cotisations de toute nature n’a été aussi important, et pourtant les services au public, au sens large, reculent dans de trop nombreux endroits : fermeture des hôpitaux et des maternités, des gares, des commissariats, des SAMU, des postes, des écoles, des tribunaux, mais aussi des médecins, des pharmaciens, des commerces, des églises, des communautés religieuses… Ce recul est vécu légitimement comme un abandon par de trop nombreux Français.

Mais quelles que soient les souffrances, nous ne pouvons accepter qu’à la violence sociale réponde la violence physique. Comme le soulignaient les évêques de France en juin 2016 : « Entre le ‘’ras-le-bol’’ de ceux qui n’y croient plus et se désintéressent de la vie publique, et ceux qui, pleins de colère, veulent renverser la table et se tourner vers les extrêmes, la marge de manœuvre est de plus en plus étroite pour relégitimer la parole publique » (CEF-Conseil permanent, Dans un monde qui change retrouver le sens de la politique, p. 56, 20 juin 2016). Cela doit nous appeler au dialogue pour « à partir de positions différentes […] construire ensemble quelque chose d’autre, où personne ne se renie, mais qui conduit forcément à quelque chose de différent des positions de départ. Ce ne doit pas être une confrontation de vérités, mais une recherche ensemble, en vérité » (Ibid. p. 58).

Nous devons, avec tous les femmes et hommes de bonne volonté, chercher les voies du dialogue et de la solidarité. Participons avec nos valeurs à ce nécessaire débat pour reposer la question du vivre ensemble. Recherchons ensemble ce que doit être une société solidaire où chacun est à sa juste place. Permettons à tous d’être pleinement reconnus dans et par son travail, sa famille et ses engagements. Pour cela, nous ne pourrons faire l’économie d’une remise à plat de notre système fiscal français pour refonder le consentement à l’impôt.

Comme nous le rappellent les évêques : « Nous pensons que les vraies solutions aux problèmes profonds de notre époque ne viendront pas d’abord de l’économie et de la finance, si importantes soient-elles, ni des postures et des gesticulations de quelques-uns. Elles viendront de cette écoute personnelle et collective des besoins profonds de l’homme. Et de l’engagement de tous. » (Ibid. p. 70)

A quelques jours des fêtes de Noël où nous autres chrétiens entendrons que « Marie mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune » (Luc 2, 7), nous voulons réaffirmer notre ardent désir d’une société plus solidaire, attentive aux plus pauvres et aux exclus, une société plus fraternelle, une société où chacun aura sa place dans notre maison commune.

C’est le sens de notre engagement.

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Par l’ensemble des membres de l’antenne de Créteil : Thomas Bauduret, Philippe Delerive, Amélie Eymard, François Fayol, Jean-François Loche, Marie-Edwige Mallet, Jacques Martin, P. Sâm Nguyen, Laurence Paris, Brigitte Tironneau, P. Jean-Luc VédrineMgr Michel Santier, évêque de Créteil, s’associe à l’analyse et aux propositions de cette tribune.

Voir l’original sur le site du Diocèse de Créteil

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