Aimons-nous vraiment les italiens ?

Les Français aiment l’Italie, cela ne fait pas de doute. Ils ne se lassent pas d’en rapporter des images et des émerveillements, sur les traces de Joachim du Bellay, Chateaubriand et Stendhal. Mais aiment-ils vraiment les Italiens, au moins les estiment-ils ? N’aurions-nous pas gardé de notre enfance la vague conviction que le petit Liré reste décidément préférable au Mont Palatin, symbole d’une gloire à jamais déchue ? Les graves événements qui ont marqué récemment la nomination du nouveau chef de gouvernement Giuseppe Conte finalement agréé par le président de la République Sergio Mattarella nous ont pris par surprise et c’est cette ignorance des heurs et malheurs de la sœur latine qui me touche.

Car ces événements ne sont pas survenus par hasard. Ils sont le fruit d’un processus de déchirement de la société italienne livrée depuis plusieurs années aux tentations de plusieurs formes de populisme[1] et qui conduit aujourd’hui à un paradoxe tragique. La nation italienne, aussi jeune qu’elle soit, n’a cessé depuis soixante ans d’œuvrer pour l’unification de l’Europe, un terme qu’elle concevait comme le complément indispensable à l’achèvement de sa propre unité. D’Alcide de Gasperi à Altiero Spinelli en passant par Giuseppe Andreotti et encore récemment Matteo Renzi, les responsables politiques italiens de droite et de gauche ont cru ardemment en l’Europe, alors que la flamme française s’était progressivement refroidie.

« Bon gré mal gré nous sommes, Français, obligés de nous préoccuper des maux qui frappent l’Italie. »

Une négociation au sein du noyau dur de l’Union Européenne (UE) va s’engager, portant à la fois sur le pilotage des migrations et sur l’Union économique et monétaire, afin de restaurer politiquement une solidarité mise à mal justement par l’absence d’affectio societatiseuropéenne. Mais la source des maux de l’Italie va au-delà du « politique ». Elle porte un nom : l’humiliation. Les éructations invraisemblables d’un Beppe Grillo contre le système italien et contre Bruxelles, n’auraient pas le succès qu’elles rencontrent en Italie du sud si elles ne venaient en écho au sentiment d’être victime sinon du mépris du moins de l’indifférence.

« Mais ce qui se déroule aujourd’hui dans notre relation à l’Italie, sans doute aussi à l’Espagne, à la Pologne, à la Hongrie nous montre que la confiance entre les peuples ne passe pas uniquement par les « réalisations concrètes » que souhaitait Robert Schuman… »

L’indifférence a pu dicter, par exemple, les comportements des responsables Français notamment lorsque des intérêts sensibles de l’Italie étaient en jeu lors de la crise Libyenne puis lors de la mise en œuvre de l’initiative « Mare Nostrum[2] » engagée par l’Italie en 2013 à l’appel du Pape François pour sauver les naufragés poussés sur leur côtes. Les responsables italiens ne sont pas non plus exempts de reproches. Mais ce qui se déroule aujourd’hui dans notre relation à l’Italie, sans doute aussi à l’Espagne, à la Pologne, à la Hongrie nous montre que la confiance entre les peuples ne passe pas uniquement par les « réalisations concrètes » que souhaitait Robert Schuman, ni seulement par la rigueur du droit. Elle passe aussi, comme le suggérait Paul Ricœur, par un croisement de mémoires où la « traduction, la narration croisée et le pardon »[3] jouent un rôle essentiel.

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Jérôme Vignon, rédacteur des SSF

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  1. « Les dangers du populisme en Italie», de Jean-Luc Pouthier, in Revue Etudes juin 2018.
  2. Opération de sauvetage en mer lancée par la marine de guerre italienne à l’automne 2013, faisant suite au déplacement du Pape François à Lampedusa.
  3. Lire les trois modèles d’un nouvel Ethos européen de Paul Ricœur, 1992, éditions du Cerf, disponible au fonds Ricœur

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