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Dossier Rencontres anuelles
Samedi 22 Novembre 2014 – L’homme et les technosciences – 89ème session
Nathalie Sarthou-Lajus philosophe et rédactrice en chef adjointe de la revue Études, Frédéric Rognon philosophe et théologien, Marie-Jo Thiel théologienne moraliste et médecin. Une séance présidée par Marc-Olivier Padis, rédacteur en chef de la revue Esprit.
Nathalie Sarthou-Lajus
Aux frontières de l’humain ou comment en finir avec un humanisme naïf.
L’altérité désigne la caractéristique de ce qui est autre. Elle interroge ce qui nous relie aux autres, humains et non-humains, et ce qui nous sépare d’eux. Elle pose également la question de l’identité humaine, du dynamisme de la vie psychique, de sa « plasticité », c’est-à-dire de ses capacités d’adaptation, de défense en milieu hostile, d’ouverture, de métamorphose. La conscience de notre identité ne cesse de se construire, de se transformer au risque parfois de se défaire, à l’épreuve de l’altérité. L’appellation des technosciences renvoie à la convergence nouvelle des techniques et des sciences. Elle oblige à ne pas isoler tel progrès en informatique, tel progrès en médecine, mais à s’interroger transversalement sur la manière dont chacun façonne notre manière de vivre. Car les technosciences ne sont pas de simples instruments, elles deviennent des extensions de nous-mêmes dont nous ne pouvons plus nous passer. Comment modifient-elles notre rapport à l’altérité ? Le prétendu mur d’enceinte humaniste, censé fortifier l’identité humaine ou réserver à l’espèce humaine un droit d’exception, est ébranlé depuis longtemps par le fait même de son extension à l’animalité, à tout le vivant, jusqu’aux machines. Les brèches sont quasi nées au cours même de la construction de ce mur.
La brèche introduite par les technosciences consiste pour l’essentiel en un déplacement des frontières entre l’humain et la machine, entre le vivant et l’artificiel, entre le normal et le monstrueux, le déficient et l’augmenté. La question est bien de savoir si ce « plus » que promettent les technosciences, cette « réalité augmentée » ou cet « homme augmenté », sera un « mieux », un progrès dans l’humanisation au-delà même des lignes de démarcation qui n’ont plus de sens quand elles obligent l’homme à se recentrer sur lui-même. Car l’humain n’est humain que lorsqu’il excède son humanité et qu’il s’ouvre à l’altérité. À l’ère digitale où le réseau des relations humaines s’étend à l’échelle planétaire, la pluralité constitue un véritable défi : elle renforce les tensions entre « le même » et « l’autre ». L’humain s’étiole s’il se replie sur lui-même comme une ligne forme une boucle. Il gagne à se concevoir comme un point irradiant, une identité intensive dans sa capacité à se transformer en entrant en relation avec d’autres espèces et d’autres réalités. L’humaniste est naïf s’il pense sauver son mur et tenir sa position, alors qu’il est débordé par des scissions intérieures et des expansions extérieures. Les technosciences accentuent le trouble des frontières de l’humain, ouvrant la voie à « un post-humanisme » impatient de surmonter les limites de la condition humaine. Ce ne sera pas la première fois que l’on cherche à en finir avec l’humain, à coup de slogans qui annoncent sa disparition. Pourtant, l’humain se présente d’emblée comme un concept impossible à définir, aux limites de ce que nous pouvons connaître et reconnaître. Un des traits remarquables de l’humain est d’être précisément indéfinissable et pluriel.
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