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Dossier Rencontres anuelles
Samedi 3 Octobre 2015 – Religions et cultures, ressources pour imaginer le monde – 90ème session
Avec Henri-Jérôme Gagey, philosophe et théologien.
Jouer les religions comme des ressources pour imaginer le monde qui vient, c’est une chose qui ne va pas de soi alors que tant de voix influentes se conjuguent pour les présenter comme des menaces. Leur prétention à la vérité et leur exclusivisme les voueraient, dit-on, à l’intolérance et à la violence. On peut toujours objecter à ce soupçon à l’aide d’une longue argumentation historique qui soulignerait, par exemple, que le déferlement de violence qui a marqué le XXe siècle (camps d’extermination nazis et goulags, Hiroshima, Nagasaki et les guerres coloniales, et j’en passe) ne devait rien à une inspiration religieuse, tout au contraire. Ce serait vrai, et c’est certainement à faire, mais de peu d’utilité tant l’équation « religions = intolérance + violence » s’est imposée dans notre culture comme une évidence. Ce soupçon, nous ne pouvons y faire face que de manière pratique en nous engageant concrètement, mais avec lucidité et donc avec humilité, dans un débat exigeant entre les grandes traditions religieuses du monde. Mais il me semble que, pour être conduit en vérité, ce dialogue réclame d’être engagé en reconnaissant les religions comme des réalités hétérogènes sans céder à la tentation de les ramener à leur plus grand dénominateur commun, par exemple, un ensemble de valeurs morales partagées qui les uniraient par-delà les croyances et les pratiques qui les distinguent et éventuellement les opposent. Cela réclame de clarifier notre conception spontanée du dialogue.
Caractérisée par certains comme « post-idéologique », notre époque ne croit plus guère aux grands batailles d’idées : la manière dont elles ont été menées au cours du XXe siècle nous a vaccinés. Éprise aujourd’hui de tolérance, elle valorise le dialogue comme le chemin qui permet de dépasser les conflits en les évitant, et c’est là que le dialogue devient une catégorie centrale. En principe, le dialogue vise à parvenir à un accord sur les questions qui divisent en se rassemblant sur l’essentiel. L’idée est la suivante : à partir de désaccords fraternellement reconnus, exposés et rationnellement examinés, on pourrait dissiper les divergences qui ne seraient dues qu’à un brouillage parasitaire circonstanciel qui empêcherait les partenaires de se comprendre mutuellement et de s’accorder sur l’essentiel. Le chemin du dialogue poursuivi dans ce but est reconnu comme long. Il suppose de la part des partenaires engagés dans le débat une vraie bonne volonté, une authentique capacité à se remettre en cause et à distinguer l’objectivité des faits des attachements subjectifs et des conventions sociales. Mais pour ceux qui s’y risquent, la promesse existe d’une « fusion des horizons », selon l’expression de Paul Ricoeur.
Or, si on la prend au sérieux, la pratique du dialogue inter-religieux rend le tableau plus complexe. C’est ce qui apparaît si on la compare avec celle du « dialogue œcuménique ». Quand protestants, orthodoxes et catholiques romains se rencontrent, ils savent partager la même foi au Christ, même si leurs manières de l’interpréter et d’en vivre se sont différenciées au cours de l’histoire. Et il est bien vrai, comme le montre le XXe siècle, grand siècle de œcuménisme, que si ce dialogue œcuménique est mené dans les conditions requises d’amitié et d’ouverture d’esprit, un compagnonnage fraternel conduit ses partenaires à se reconnaître infiniment plus proches que ne le suggèrent des siècles de controverses poursuivies dans l’ignorance mutuelle.
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