Témoignage et chant- Religions et cultures

Dimanche 4 Octobre 2015 – Religions et cultures, ressources pour imaginer le monde – 90ème session.

Avec Marianne Sébastien, cantatrice et fondatrice de l’association Voix libres, créée il y a 20 ans en Bolivie, pour aider les enfants à sortir de la misère et de la violence.

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« Ooooooh… »Le son dure de longues secondes, jusqu’à ce que le souffle s’éteigne. « Vous entendez, nous sommes plusieurs centaines…. mais il n’y a qu’un seul son… ». Non, il ne s’agit pas d’un stage de méditation, mais bien d’une session des Semaines sociales. Toute l’assistance est debout, cherchant à produire la plus belle sonorité, la plus puissante, la plus harmonieuse, la plus authentique ; bref à émettre « son propre son ». Car c’est là la clef de la recherche de Marianne Sébastien. Aider ceux qu’elle côtoie à exprimer leur vérité par le chant, à harmoniser leurs énergies, à retrouver le sens de la respiration. Ceux que la cantatrice fait chanter sont aussi bien des cadres dirigeants de grandes entreprises françaises venus suivre un stage de libération de la voix que des enfants des rues de Bolivie.

Dios es Amor… Sur l’air du chant Resucitó, de K. Arguello, nous répétons cette phrase, tel un mantra. Dios es Amor…. Une première voix, une deuxième voix, une troisième voix. Puis tous ensemble. Tout l’amphithéâtre de l’Unesco résonne d’une même clameur. À chaque fin de phrase, Marianne Sébastien nous demande de reprendre notre souffle pour mieux « écouter le silence ». « Nous inspirons 20 000 fois par jour, donc nous nous reposons 20 000 fois par jour ! », nous explique-t-elle. Vibrer. Ecouter. Respirer. Entendre. Se mettre en résonance avec nous-mêmes et avec le monde entier, c’est le but de la séance. Marianne nous fait prendre conscience de la force du chant, ce chant dont elle dit qu’il métamorphose la vie et transforme notre psychisme. « Des travaux l’ont montré, sous l’effet du chant, on observe des modifications de la structure cérébrale. Notre cerveau change ; notre personnalité change. »

Et pour clore, quelques mots d’un chant indien suivi d’un gospel que nous entonnons pour et en l’honneur de ces orphelins qui, sur l’écran, nous regardent. Ces collégiens souriants étaient des enfants martyrisés. L’association Voix libres les a fait chanter, les a fait changer. Par la musique, ils ont exprimé la joie. « Ils sont aujourd’hui scolarisés, ils partent heureux à l’école et sont souvent premiers de la classe », raconte Marianne Sébastien.

Le parcours de Marianne commence par un premier miracle. Ou plus précisément un premier drame. Son fils naît sourd. « Tout le monde me disait qu’il ne parlerait jamais. J’ai arrêté ma carrière de cantatrice quelques années pour réveiller ce verbe divin qui sommeillait au fond de lui. Aujourd’hui, il parle parfaitement français, anglais. Cela a été une grande épreuve de grâce. Miracle de l’amour maternel, de l’écoute patiente, de la présence… et du chant ». Ce miracle du chant, cette capacité de la musique à transformer l’être, Marianne l’a mise au service des pauvres. Tout commence par un voyage en Bolivie. C’est minuit à Potosi. « Je suis sortie. Un enfant m’a prise par la main et m’a guidée dans un tunnel où dorment des enfants de la rue ». Marianne y rencontre des enfants esclaves qui travaillent au fond des mines. « Ils dormaient, les uns sur les autres, ils buvaient, ils se droguaient. Quand ils m’ont vue, ils m’ont juste dit : « chante-nous quelque chose ». J’ai chanté en quechua. Puis j’ai entonné un chant de paix en français. Ce soir-là, j’ai compris la puissance du chant ». Marianne va faire s’exprimer ces « enfants sans voix ». Elle va leur donner la seule chose qu’elle possède : le chant. « J’ai tout partagé : musique, danse sacrée. J’ai revalorisé leur culture, chant-souffle, ils fabriquent  eux-mêmes leurs flûtes de pan, leurs instruments traditionnels ». Armée de sa voix et de ses économies, elle va dans les prisons, les villages, sur les ordures, et dans tous les lieux où elle rencontre les plus pauvres d’entre les plus pauvres, les plus marginalisés. La violence est endémique, l’alcool aussi. Voix libres les aide à sortir du cercle vicieux, pour emprunter une autre voie. Scolarisation, microcrédits et musique, trois piliers pour aider ces familles à construire un autre avenir. « Quand je les ai rencontrés pour la première fois, 3 000 personnes travaillaient en silence dans les ordures. Ils y travaillaient, ils y vivaient, ils en mouraient. De ces ordures sont sortis des leaders. Nicanor est devenu psychologue et a rédigé sa thèse sur la résilience. »

Vingt ans plus tard, Voix libres peut s’enorgueillir d’avoir apporté du bonheur à plus d’un million de personnes, d’avoir donné le jour à 250 infrastructures dont une vingtaine de villages pour les enfants des mines, des rues et des ordures, a fait bénéficier 120 000 personnes de microcrédits sans intérêts (dont 90% alloués à des femmes) qui fonctionnent uniquement sur la base de la confiance réciproque. Voix libres a aussi mis en place, une vingtaine d’entreprises solidaires qui apportent de la richesse localement et exportent un container d’artisanat et de quinoa chaque année pour les amis de l’association.

Et Marianne de nous encourager à suivre notre intuition, à suivre la voie (ou… la voix ?) du cœur. « Si, cette nuit-là, j’avais dit « non » à cet enfant, il n’y aurait pas eu tous ces projets, il n’y aurait pas eu les maisons des enfants martyrisés, il n’y aurait pas eu toutes ces renaissances ». Car c’est bien de la nuit que naît l’aube et c’est bien dans l’ombre qu’on voit le mieux la lumière.

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