80 ans de guerre sur cette terre où s’affrontent cultures et religions, histoire et vision. Un mur divise l’agglomération de Jérusalem. Est-il toujours possible, souhaitable, pour des chrétiens français d’y oser un pèlerinage qui suppose découverte des lieux, Bible en mains, méditation intime et temps liturgiques ? Premier élément de contexte le rappel récent de l’ancienneté et de la légitimité de la présence française dans des bâtiments porteurs de symboles religieux chrétiens forts. Le drapeau tricolore flotte sur la basilique Sainte Anne, confiée aux Pères Blancs ,et l’école biblique de Jérusalem où Emmanuel Macron se rendit longuement est un lieu où la recherche linguistique, archéologique et théologique, a permis de retravailler l’Ecriture, et de contribuer au rapprochement de l’histoire de chaque communauté. Chrétiens et Français nous sommes donc bien présents à Jérusalem.
Treize confessions cohabitent au Saint Sépulcre, le respect dû à cette diversité non réductible aux seuls rites est une difficulté ; en reconnaitre la richesse pour nous est nécessaire alors même que les tentations, les dynamiques fondamentalistes, crispent, divisent et nourrissent la tension. L’appui d’évangéliques américains au dernier plan si méprisant pour les Palestiniens en est une nouvelle illustration. Venir à Jérusalem c’est apprendre à dialoguer avec d’autres confessions.
Contrairement à ce qu’aurait affirmé Clémenceau à un parlementaire qui s’étonnait de la protection des institutions religieuses en Palestine par la République, la laïcité, affirmation de la distance entre le religieux et le politique devrait être une posture exportable, même si elle doit ici reconnaitre l’importance du religieux dans la cohésion sociale. Ce témoignage de notre vécu de chrétiens à la laïcité heureuse ne devrait pas se limiter à l’hexagone.
Ce mur qui sépare de Jérusalem, défense contre ce que furent les agressions terroristes est, coté Bethléem, orné de décorations, d’icônes – car le mot de tag n’est pas à la hauteur de cet art mural- à l’humour dramatique où nos images pieuses, la Crèche et autre Fuite en Egypte sont détournées en messages terribles dont la dérision dit le drame vécu.
Le projet sioniste, qui a tant apporté, ne serait-ce que pour ma génération l’expérience des kibboutz, a bien construit un pays où prospère l’investissement, public et privé. Mais au nom de ce projet et de la sécurité nationale, la politique israélienne enferme des palestiniens dans la misère, et que dire de Gaza. Cette misère déstabilise toute tentative de bâtir un projet politique crédible, et nourrit les extrémismes destructeurs qui trouvent dans le fondamentalisme une base logique.
Quand les meilleurs connaisseurs de cette situation avouent leur impuissance à concevoir des projets de sortie, est-il encore possible de prétendre ressourcer sa foi en participant à un pèlerinage dans une terre aussi dramatiquement divisée ? Faut-il s’abstenir de s’y rendre ? Les chrétiens de Nazareth disent l’importance pour eux de notre passage attentif, de notre tentative de comprendre. Au moment où les jeunes générations commencent à dire pour les uns « Arrêtez de justifier notre présence ici par la Shoah, l’Haulocauste » pour les autres « Arrêtez de faire de la Nakhba, la Catastrophe, le début de notre histoire politique » au moment donc où des jeunesses rêvent de vivre, il semble finalement important de venir, en Israël et en Palestine, d’y sentir ce qui nous lie profondément à ce territoire, et d’aider ceux qui aimeraient dépasser les drames actuels en nourrissant leur ouverture a d’autres mondes.
Philippe Segretain, membre du CA des SSF