Fiches de réflexion clef en main

Éléments de réflexion préparatoire à la session 2002 des Semaines Sociales de France, « La violence, Comment vivre ensemble ? »

Chères amies, chers amis,

Comme les années passées, vous trouverez ci-dessous quelques éléments de réflexion préparatoire à notre prochaine session. Ce document a été réalisé, comme précédemment, à destination des communautés chrétiennes d’étudiants et de jeunes professionnels. En effet, un nombre croissant de ces jeunes participent à nos rendez-vous annuels. Nous avons conscience que quelques jours de rassemblement ne suffisent pas à épuiser les thématiques proposées tous les ans. Pouvoir réfléchir ensemble avant la session au thème proposé peut s’avérer utile et enrichissant. Enfin, la question de la violence, par son actualité hélas sans cesse renouvelée, recoupe certainement leurs mais aussi vos préoccupations. Cela explique notre démarche, que nous souhaitons la plus ouverte possible

Autant que faire se peut, nous pensons que la démarche proposée ici doit prendre la forme d’un partage d’expériences. L’enjeu n’est pas ici d’ouvrir de grands débats théoriques ou perspectives catéchétiques mais de vous faire parler, vous. Par ailleurs, il existe de multiples manières d’approcher les textes qui vous sont proposés. Nous vous en proposons une, qui recoupe directement le travail de préparation mené dans le cadre de notre prochaine session.

Nous nous tenons à votre entière disposition pour toute information complémentaire. N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires ou suggestions, aussi bien en ce qui concerne ce document que le contenu de notre prochaine session. Ce sont toutes ces manifestations qui nous aident à progresser et nous permettent de faire en sorte que notre travail réponde à vos attentes.

En vous souhaitant par avance des réflexions et échanges aussi riches que confiants sur cette difficile question de la violence, nous nous réjouissons à l’idée de pouvoir accueillir certains d’entre vous fin novembre.

Alban Sartori,

délégué général

SOMMAIRE

* Quelques textes pour aborder la question de la violence

* Quelques questions face aux textes

* Pour aller plus loin, quelques éléments de bibliographie

Quelques textes pour aborder la question de la violence …

L’homme connut Eve, sa femme ; elle conçut et enfanta Caïn et elle dit:  » J’ai acquis un homme de par Yahvé « . Elle donna aussi le jour àAbel, frère de Caïn. Or Abel devint pasteur de petit bétail et Caïncultivait le sol. Le temps passa et il advint que Caïn présenta desproduits du sol en offrande à Yahvé, et qu’Abel, de son côté, offritdes premiers-nés de son troupeau, et même de leur graisse.

Or Yahvéagréa Abel et son offrande. Mais il n’agréa pas Caïn et son offrande,et Caïn en fut très irrité et eut le visage abattu. Yahvé dit à Caïn : » Pourquoi es-tu irrité et pourquoi ton visage est-il abattu ? Si tu esbien disposé, ne relèveras-tu pas la tête ? Mais si tu n’es pas biendisposé, le péché n’est-il pas à la porte, une bête tapie qui teconvoite, pourras-tu la dominer ?  » Cependant Caïn dit à son frère Abel:  » Allons dehors « , et, comme ils étaient en pleine campagne, Caïn sejeta sur son frère Abel et le tua.

Yahvé dit à Caïn :  » Où est tonfrère Abel ?  » Il répondit :  » Je ne sais pas. Suis-je le gardien demon frère ?  » Yahvé reprit :  » Qu’as-tu fait ! Écoute le sang de tonfrère crier vers moi du sol ! Maintenant, sois maudit et chassé du solfertile qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main le sang de tonfrère. Si tu cultives le sol, il ne te donnera plus son produit : tuseras un errant parcourant la terre « .

Alors Caïn dit à Yahvé :  » Mapeine est trop lourde à porter. Vois ! Tu me bannis aujourd’hui du solfertile, je devrai me cacher loin de ta face et je serai un errantparcourant la terre : mais, le premier venu me tuera !  » Yahvé luirépondit :  » Aussi bien, si quelqu’un tue Caïn, on le vengera sept fois » et Yahvé mit un signe sur Caïn, afin que le premier venu ne lefrappât point.

Caïn se retira de la présence de Yahvé et séjourna au pays de Nod, à l’orient d’Éden.

Genèse 4, 1-16,

Bible de Jérusalem

L’histoire est, par essence, conflictuelle. S’il y eut des sociétés quine furent pas « bloquées », il n’y en eut point qui ne furent pas »cassées ». Au moins des sociétés relevant de l’histoire. […] A l’oréede cette première heure de cette Semaine, il n’est pas inutile delaisser notre imagination vagabonder dans notre mémoire. Evoquons »l’histoire sainte » et celle des religions ; le sang et les larmes n’ymanquent pas : voici Caïn et Abel ; voici Miriam de l’autre côté de lamer des Roseaux qui acclame Yahvé d’avoir jeté à l’eau le cavalier avecle cheval ; voici Jérémie qui condamne la Paix ; voici les Juifs contreles Païens, les Chrétiens contre les Juifs, les Catholiques contre lesProtestants, la descendance d’Abraham s’étripant gaillardement deguerres saintes en guerres saintes. Passons à l’histoire politique […].Convoquons ici ces personnages fascinants dont les noms ont traversé outraverseront – peut-être – les siècles des siècles : Cyrus, Alexandre,César, Gengis Khan, Charlemagne. Napoléon, Lénine, Mao-Tsé-Tung. Quifurent ils ? Que furent ils ? Constructeurs ou carnassiers ? Comment nepas évoquer ces noms terrifiants : proscriptions de Sylla, Cirque deNéron, bûcher de Montségur, Commune de Paris, Procès de Moscou,Auschwitz, Biafra, etc. […] Considérons cette collection nommée « Lestrente journées qui firent la France » et parcourons les titres :bataille de Poitiers, journée des Dupes, Massacre de laSaint-Barthélemy, Chute de la Royauté, Waterloo, Victoire de la Marne,etc. Laquelle de ces journées ne fut pas conflit à l’extrême,c’est-à-dire guerre ? Allons, abandonnons cet égrènement impossible. […]

Certes,à côté, ou mieux, entrelacées à ces batailles et ces tueries, lesdisputes intellectuelles semblent moins cruelles. Est-ce assuré,cependant ? En tout cas, contentons nous d’observer que les idéesaussi, la « vérité » aussi, ne se dégagent que dans l’excitation desquerelles : aristotéliciens contre platoniciens ; augustiniens contrethomistes ; Voltaire contre Rousseau ; Kierkegaard contre Hegel ; Marxcontre Proudhon ; Sartre contre Camus, etc. Le conflit est sicoextensif à notre condition que le monde lui même nous parait cassé.De là, les grands affrontements mythiques : le jour contre la nuit, lamer contre la terre, le chien contre le chat, le corps contre l’âme,Romulus et Remus, le rouge et le noir, la civilisation audio-visuellecontre la civilisation écrite, etc. […]

Bien sûr, à ces motsquelques-uns vont être tentés de me taxer de pessimisme. […] Qu’on leveuille ou non, ainsi va la vie. Le conflit, voire la guerre sont notrelot. Que dire ? Que penser ? […] Que faire ? L’homme d’action peut, aumoins l’espace d’un moment, se contenter de constater et décider de nepas se soumettre. Le conflit est notre destin. Un destin toujoursrecommencé. Eh bien ! Ce destin, comme tous les destins, il nousappartient de le transformer en défi. Les conflits existent, nousn’avons pas l’embarras du choix. L’important est de les considérerlucidement afin de les aménager, de les résoudre ; parfois, rarement.Le plus souvent, notre tâche consiste seulement à capter leur énergiesauvage pour la civiliser. Sans conteste, cela n’est ordinairementpossible qu’en engendrant une nouvelle situation conflictuelle. Mais,nous devons en prendre notre parti : la terre des hommes est lecontinent de l’aventure. Ne nous veuillons pas démiurges. II ne nouséchoit que de domestiquer l’histoire d’à présent, c’est-à-dire de fairedes conflits actuels des forces de créations de l’homme et des hommes.C’est tout et c’est considérable.

René Pucheu, Les nouvelles dimensions des conflits collectifs,

58e Semaine Sociale, 1971

A Pierre, qui dégaine l’épée, Jésus répond :  » Remets ton épée aufourreau, tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée  » (Matthieu26, 52). Par quelle arme périront ceux qui la dégainent ? Certainementpar l’épée de celui qui se vengera ou se défendra. Ainsi se trouvedénoncé le cercle indéfiniment parcouru de la violence : la violenceappelle la violence.

Mais, au-delà de cette explication qui resteincontestable, la Bible nous propose une autre interprétation :nombreux sont les textes qui nous disent que le violent est détruit parsa propre violence. C’est l’épée qu’il dégaine qui lui perce le cœur.Le meurtre est toujours suicidaire, car il détruit l’humain,l’humanité, non seulement dans la victime mais aussi dans le meurtrier.

Saint-Paulnous fait comprendre qu’à la croix, nous assistons à la mort de la mort:  » La mort a été engloutie dans la victoire  » (1 Corinthiens 15, 54).Plus on  » défait  » le Christ en le conduisant jusqu’à la mort, plus, enlui, l’amour se fait gratuit, c’est-à-dire sans raison. Or, l’amour estle contraire de la mort, il est ce qui fait vivre. A chaque instant dela Passion, l’amour surclasse la mort. La résurrection est déjà là,présente dans cette victoire sur toute violence. Alors se trouvemanifestée l’inanité de la violence : elle ne peut venir à bout del’amour.

Marcel Domergue, La violence et la Bible,

dossier sur la violence des magazines Famille & Education et Croire aujourd’hui, 1999

Mais comment, dans les circonstances actuelles, parler de justice et enmême temps de pardon comme sources et conditions de la paix ? Maréponse est celle-ci : on peut et on doit en parler, malgré lesdifficultés que comporte ce sujet, parce que, entre autres, on atendance à penser à la justice et au pardon en termes antithétiques.Mais le pardon s’oppose à la rancune et à la vengeance, et non à lajustice. La véritable paix est en réalité  » œuvre de justice  » (Is. 32,17). Comme l’a affirmé le Concile Vatican II, la paix est  » le fruitd’un ordre qui a été implanté dans la société humaine par son divinFondateur, et qui doit être mené à la réalisation par des hommesaspirant sans cesse à une justice plus parfaite  » (Constitutionpastorale Gaudium et Spes, n°78). Depuis plus de quinze siècles, dansl’Eglise catholique, retentit l’enseignement d’Augustin d’Hippone, quinous a rappelé que la paix qu’il faut viser avec la coopération de tousconsiste dans la tranquilitas ordinis, dans la tranquillité de l’ordre(cf. De civitate Dei, 19, 13).

La vraie paix est donc le fruitde la justice, vertu morale et garantie légale qui veille sur le pleinrespect des droits et des devoirs, et sur la répartition équitable desprofits et des charges. Mais parce que la justice humaine est toujoursfragile et imparfaite, exposée qu’elle est aux limites et aux égoïsmesdes personnes et des groupes, elle doit s’exercer et, en un sens, êtrecomplétée par le pardon qui guérit les blessures et qui rétablit enprofondeur les rapports humains perturbés. Cela vaut aussi bien pourles tensions qui concernent les individus que pour celles qui ont uneportée plus générale et même internationale. Le pardon ne s’opposed’aucune manière à la justice, car il ne consiste pas à surseoir auxexigences légitimes de réparation de l’ordre lésé. Le pardon vis plutôtcette plénitude de justice qui mène à la tranquillité de l’ordre,celle-ci étant bien plus qu’une cessation fragile et temporaire deshostilités : c’est la guérison en profondeur des blessures quiensanglantent les esprits. Pour cette guérison, la justice et le pardonsont tous les deux essentiels.

Jean-Paul II, Message pour la Célébration de la journée mondiale de la Paix,

janvier 2002

Quelques questions face aux textes

Juste après le récit de la Chute, le meurtre d’Abel par Caïn

* Quelles réactions face à l’histoire de Caïn et Abel ? Comment s’illustrerait-elle dans notre actualité, dans nos vies ?

* Comment en arrive-t-on au meurtre dans ce récit ? Comment pourrait-on étoffer le texte pour le rendre plus réel ?

* Comment le thème de la vengeance y est-il traité ?

Le conflit et la violence dans la condition de l’homme et des sociétés

* Depuis 1971, quels grands conflits nous semblent les plus marquants ? Quel est leur historique ? Quels sont ceux qui ont engendré de la violence, quels sont ceux qui se sont soldés pacifiquement ? Pourquoi ?

* Quelle est la place respective du conflit et de la violence dans ces exemples ?

* Concrètement, quelles différences peut-on trouver entre conflit et violence ? Le conflit est-il nécessairement violent, la violence est-elle nécessairement conflictuelle ?

* En dehors du conflit armé ou de la violence physique, sous quelles autres formes la violence apparaît-elle ?

* Le conflit s’avère, selon René Pucheu, inséparable de la vie en société. En est-il de même pour la violence ?

La justice et la défense des droits comme première solution face à la violence

* L’application de la loi protège-t-il de la violence ? Existe-t-il des lois violentes ? La violence n’est-elle que transgression d’une loi ?

* Quel lien entre injustice et violence ?

* La défense des droits : quelle place à la défense des droits, à la révolte, si celle-ci doit ne pas mettre en danger l’ordre établi ?

* Comment réagir face à ce concept de  » tranquillité de l’ordre  » ?

Le pardon comme seconde solution face à la violence

* Quel rôle joue l’histoire dans la violence ?

* Comment peut-on instaurer le dialogue pour prévenir la violence ? Pour guérir la violence ?

* Le pardon est-il possible face à la violence ?

* Que nous dit la vie du Christ à ce sujet ?

* Dans nos vies, comment être artisan de paix ?

Pour aller plus loin, quelques éléments de bibliographie

* Maîtriser les violences, le combat de la charité, Actes du Xe colloque de la Fondation Jean Rodhain, Cerf, 1999 ;

* La violence, Yves Michaud, coll. Que sais-je ?, PUF, 1999 ;

* Savoir vivre ensemble, agir autrement contre le racisme et la violence, Charles Rojzman, La Découverte, 2001 ;

* La non-violence expliquée à mes filles, Jacques Sémelin, Seuil, 2000.

Les plus récents

Voir plus