Tout semble à-priori opposer les Eglises catholiques en Allemagne et en France : l’une bien visible dans l’espace public en raison de la place que lui reconnaît la Constitution fédérale, l’autre se tenant en retrait de l’Etat républicain comme le veut la pratique de la loi de 1905 ; l’une rompue à la pratique de l’œcuménisme avec l’ Eglise luthérienne avec lesquelles elle se partage l’espace du christianisme , l’autre occupant de fait une place prépondérante en tant qu’Eglise historique ; l’une forte d’une armée de laïcs professionnellement engagés dans les tâches pastorales et diaconales, formés dans les nombreuses facultés publiques de théologie, l’autre beaucoup moins riche sur ce plan même si le vivier des laïcs compétents est très sollicité . Bref une certaine force tranquille d’un côté, de l’autre une présence millénaire, de plus en plus levain dans une pâte de plus en plus épaisse.
Ces différences ne sauraient faire oublier les relations fraternelles qui se sont nouées entre ces deux grandes communautés catholiques nationales à l’issue du second conflit mondial. La réconciliation franco-allemande a certes été le fruit des initiatives politique audacieuses des pères de l’Europe, tels Robert Schuman, Jean Monet, Konrad Adenauer. Mais elle n’aurait pas eu de retentissement en profondeur sans la contribution active de la société civile et particulièrement des Eglises qui ont frayé le chemin à diverses formes de coopération telles que les rencontres des organisation de jeunesse initiées par l’OCIPE(1) , la fondation de Pax Christi(2) dédiée à la construction d’une paix mondiale durable sur base de la réconciliation franco- allemande, à la création d’une instance d’abord franco-allemande puis européenne instaurant une coopération permanente entre les conférences épiscopales nationales , la COMECE(3).
Il faut avoir présente à l’esprit cette relation d’amitié entre catholiques français et allemands au moment où ces deux Eglises si différentes et pourtant sœurs se trouvent confrontées de façon similaire au défi que constitue le choc des abus sexuels. Il s’agit bien pour l’une et l’autre de restaurer leur crédibilité pour l’annonce de l’Evangile. En France, la conférence des évêques se prépare avec une certaine anxiété à l’onde de choc que pourrait créer en septembre la publication du rapport de la CIASE(4) destiné à faire la pleine lumière sur l’ensemble des abus des victimes, y compris au-delà des situations connues des responsables ecclésiastiques. Dans cette attente, elle a publié le 25 mars dernier une Lettre aux catholiques (5) faisant état à priori de plusieurs dispositions significatives pour la réparation, la reconnaissance des victimes et la prévention et la sanction des abus. En Allemagne, la conférence des évêques attend de l’enquête diligentée par le Saint siège auprès du diocèse de Cologne que la lumière soit faite sur les responsabilités que le cardinal Woelki tarde à clarifier. Elle espère surtout que la démarche d’un « Chemin synodal » engagée paritairement avec la fédération des laïcs catholiques allemands, le ZDK, aille à son terme. Elle devrait donner la preuve que des réformes structurelles dans l’exercice des responsabilité ecclésiales sont possibles, touchant notamment la reconnaissance des tâches exercées par les femmes, sans mettre en péril les règles canoniques dont la définition relève de l’Eglise universelle.
La récente et spectaculaire démission du Cardinal Marx, archevêque de Munich, donnée le 21 mai et finalement refusée par le Pape François, a mis en lumière une différence majeure entre les conférences épiscopales allemande et française. En Allemagne, on a reconnu, au fil du temps et de l’ampleur des scandales, face aussi à la vivacité des réactions des fidèles allemands, que les abus sexuels avaient une cause systémique renvoyant à une dérive cléricale générale, du type de celle dénoncée par le Pape François dans sa lettre au peuple de Dieu écrite en 2018. La démission du Cardinal avait pour objet de faire échec aux tentatives de récuser ce caractère systémique et les réformes de structure qu’il nécessite. En France en revanche, le caractère systémique des abus n’est pas retenu par la conférence, qui préfère reconnaître dans sa Lettre aux catholiques que « nos prédécesseurs n’ont pas toujours été suffisamment attentifs au sort des enfants agressés ». Commentant la démission du Cardinal Marx, Monseigneur de Moulins Beaufort, exprime au contraire une certaine distance soulignant son « isolement » (6) . Tout se passe comme si le travail considérable effectué par la conférence des évêques de France pour écouter les victimes et reconnaître leurs souffrances se suffisait à lui-même.
« Cependant la timidité à s’engager dans la voie de réformes de structures mettant en cause le cléricalisme dans l’Eglise de France , qu’il relève de l’excès d’autorité des uns ou du manque d’esprit d’initiative des autres , trouve aussi son origine dans la difficulté éprouvée par les responsables de notre Eglise à rentrer dans des débats qui pourraient révéler les divergences de sensibilité , entre évêques bien sûr , mais peut-être plus encore entre laïcs . »
L’Eglise en France ne juge donc pas justifié de prendre appui sur le scandale des abus pour engager une réforme qui porterait sur l’exercice général de l’autorité, sur l’articulation entre le sacerdoce des clercs et celui des baptisés, la place et le rôle des femmes, la formation des prêtres de demain comme c’est le cas en Allemagne. Sans doute est -il juste de reconnaître que ce scandale n’y a pas chez nous la même dimension ni le même retentissement. Cependant la timidité à s’engager dans la voie de réformes de structures mettant en cause le cléricalisme dans l’Eglise de France , qu’il relève de l’excès d’autorité des uns ou du manque d’esprit d’initiative des autres , trouve aussi son origine dans la difficulté éprouvée par les responsables de notre Eglise à rentrer dans des débats qui pourraient révéler les divergences de sensibilité , entre évêques bien sûr , mais peut-être plus encore entre laïcs . Une certaine conception homogénéisante de l’unité dont l’évêque est à l’échelle de son diocèse le garant ne rend pas service : elle empêche de considérer les transitions dans l’organisation respective des rôles des clercs et des laïcs que la situation démographique rend nécessaire et que le Concile Vatican II annonçait. Ce devrait être l’objet d’une synodalité bien comprise que de permettre de tels débats en évitant de tomber dans les affrontements exclusifs. Sur ce point de la tolérance aux divergences, de l’écoute mutuelle des différences, l’Eglise allemande a déjà réussi. Son chemin synodal s’avère comme une expérience remarquable d’un pluralisme d’opinions que réunit néanmoins le souci d’une authentique annonce de l’Evangile. C’est cette démarche que Promesses d’Eglise (7) s’efforce aujourd’hui de mettre en pratique. Puisse sur ce point l’exemple allemand nous donner le courage d’avancer.
Jérôme Vignon
1. Office catholique d’information et d’initiative pour l’Europe créé à Strasbourg en 1956 par les Jésuites, devenu aujourd’hui le Service européen des Jésuites pour l’Europe.
2. Pax Christi créée en 1945 à l’initiative de catholiques français et allemands devient à partir de 1950 une ONG catholique pour la paix présente dans 50 pays.
3. La Commission des épiscopats de l’Union européenne voit le jour en 1980. Elle réunit des représentants des conférences épiscopales de 27 Etats membres et se veut la voix de l’Eglise auprès des Institution européennes.
4. Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’église, créée par la Conférence des évêques de France en 2018 et présidée par Jean-Marc Sauvé ancien vice-président du Conseil d’Etat.
5. Lettre des évêques de France aux catholiques sur la lutte contre la pédophilie, Lourdes, 25 mars 2021.
6. Interview au journal La Croix du 4 juin 2021.
7. Promesses d’église est une initiative conjointe de plusieurs dizaines de mouvements de laïcs, reflétant une diversité de missions et de familles spirituelles qui vise à montrer par l’exemple les fruits que porte la synodalité