Par François Heisbourg
Conférence donnée au cours de la session 2002 des Semaines Sociales de France, « La violence, Comment vivre ensemble ? »
Séance présidée par Dominique Quinio, directrice adjointe du journal La Croix, membre du conseil des Semaines Sociales de France.
FRANÇOIS HEISBOURG, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.
« Des totalitarismes aux terrorismes et aux guerres d’aujourd’hui », pourquoi ce titre ? À mon sens, et c’est également le sens du propos des chercheurs de l’Institut pour la Recherche Stratégique, que je dirige, (exposé dans le livre Hyperterrorisme, la nouvelle guerre), nous passons d’une époque, dont le XXème siècle était caractéristique, où le maniement de la violence armée était largement le monopole des États et où les extrêmes de violence étaient le propre des États totalitaires, à une époque où des groupes non-étatiques peuvent acquérir et vouloir utiliser la force armée, y compris les extrêmes de violence, c’est-à-dire le terrorisme de destruction massive. C’est ce dernier aspect que nous avons qualifié d’ »hyperterrorisme ».
Je voudrais donc tout d’abord rappeler très brièvement d’où l’on vient , en insistant en particulier sur le XXème siècle dont nous sortons. Dans un deuxième temps, j’insisterai davantage sur les perspectives, en posant trois types de questions : Quelle est l’évolution des acteurs de la violence ? Quels sont leurs objectifs ? Quels sont les éléments de la nouvelle règle du jeu international qui commence à s’esquisser ?
Nous sortons d’une situation – celle du XXème siècle – où les États étaient hypertrophiés et ont développé des capacités de destruction massive toujours plus importantes. Rappelons la première guerre mondiale, avec la mobilisation totale des capacités humaines et industrielles dans le cadre de la guerre. Plus tard les paroxysmes de violence de la seconde guerre mondiale ont finalement débouché sur la création de l’arme nucléaire. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité notre espèce disposait de la capacité de se détruire totalement.
Les États, placés au centre du jeu, pouvaient exercer les compétences régaliennes classiques formalisées par les traités de Westphalie (1648-1649) au terme des guerres de religion et de la guerre de trente ans. Au cours du XXème siècle, les compétences économiques et sociales de l’État se sont fortement affirmées. Par ailleurs, certains États ont fait preuve de leur volonté d’établir une emprise totalitaire sur la société dans son ensemble.
Mais cette situation était historiquement datée et typée, dans ces trois sphères de compétences. Les compétences régaliennes fixées lors des traités de Westphalie étaient parfois largement externalisées jusqu’à la moitié du XIXème siècle. Par exemple, la conquête et l’administration de l’Empire des Indes par les Britanniques se sont faites jusqu’en 1858 par l’intermédiaire de la Compagnie des Indes, y compris en ce qui concerne la présence militaire. La possession de la puissance militaire par l’État en régie directe est relativement récente, fortement connotée au XXème siècle. Ce que nous – socialisés au cours du XXème siècle – pouvons considérer comme des éléments forts, permanents et fixes sont en fait des éléments relativement fugaces de l’Histoire.
L’une des caractéristiques du XXème siècle, avec l’hypertrophie des États et l’avènement des États totalitaires a été la transformation d’un certain nombre d’États, tels l’Italie fasciste, l’Allemagne nazie, la Russie stalinienne ou la Chine maoïste, en sources d’insécurité non seulement sur la scène internationale mais aussi pour leurs propres citoyens. La première source de légitimité des États, c’est-à-dire la garantie de la sécurité collective, s’est trouvée niée massivement. C’est l’une des raisons qui concourent à l’érosion de la place de l’État comme acteur central du système international, que nous vivons aujourd’hui.
D’autre part, si je voulais synthétiser la situation qui nous attend, je dirais que nous allons – au moins au sens figuré – vers une nouvelle guerre de trente ans . A son terme nous assisterons à une redéfinition de la règle du jeu, d’une ampleur comparable à celle que les sociétés européennes ont vécu au milieu du XVIIème siècle.
[Retrouvez l’intégralité de cette conférence dans les actes de la session 2002 aux éditions Bayard, disponibles en librairie]