Dans son très opérationnel chapitre 3 de Fratelli Tutti le Pape François nous rappelle que certaines périphéries sont proches de nous, et il évoque « la capacité quotidienne d’élargir mon cercle, de rejoindre ceux que je ne considère pas spontanément comme faisant partie de mon centre d’intérêt même s’ils sont proches de moi » (FT97). Dimanche après-midi, place de la République, c’est l’horreur et sa proximité avec notre quotidien qui nous a rassemblés. Mon cercle s’est spontanément élargi à toutes ces femmes et ces hommes, mes proches sur la place, silencieux, solidaires au-delà de tout choix partisan. Elargi à ce jeune caricaturiste de Charlie Hebdo, pas toujours bien inspiré dans ses rapprochements douteux, mais là n’était pas l’essentiel, et à ce français d’origine kabyle rencontré au pied de la statue de la République, venu témoigner de la recherche de racines lui permettant de s’exprimer en citoyen, ici.
Pour ancrer la paix civile il faut trouver le bon équilibre entre recherche de notre sécurité, protection de la cohésion sociale, et respect de la liberté d’expression, quel que soit le média. C’est nécessaire et difficile ; cela suppose de travailler une expression contemporaine des valeurs républicaines, et les faire respecter. La résilience de la République est dans notre capacité à dire et faire partager notre vision.
Mais à côté de ce nécessaire exercice régalien il nous appartient individuellement et dans les lieux, les moments, les institutions où nous nous retrouvons comme chrétiens nourris de la parole de François, de proclamer cette capacité quotidienne à élargir notre cercle. Le thème retenu par les Rencontres de novembre des Semaines Sociales avait anticipé cette admonestation papale, et témoignages, analyses et propositions, vont nourrir notre réponse. Devant la gravité des tensions sociales que nous vivons, la violence verbale, conceptuelle, puis physique qui détruit notre communauté, la réponse chrétienne est aussi portée par les mouvements caritatifs, eux-mêmes nourris par la foi des acteurs ; la République leur confie de plus en plus, par délégation, la mission du service public de la solidarité. La réponse est encore dans tous ces hivers solidaires où se partagent, chacun dans son quartier, sa paroisse, l’hébergement ou la nourriture ; elle est dans ce travail de réflexion et de proposition porté par les mouvements associatifs, dans la recherche universitaire, animés par la Doctrine Sociale de l’Eglise.
Mais alors que le débat politique en France n’est pas encore aujourd’hui limité à une problématique électorale réductrice, alors que la défense de la laïcité n’apparait plus comme une obligation de discrétion sur les origines spirituelles de nos engagements, puisque l’Eglise de France avait été solennellement invitée par le président Macron à se faire entendre, elle doit s’approprier, et le faire savoir, la vision portée par Fratelli Tutti. Sa réaction ne peut se contenter du communiqué de presse de la Commission Permanente des Evêques de France, qui prend acte des analyses de l’encyclique et rappelle sa position sur la loi bioéthique. Des chrétiens en France agissent pour leurs frères mais le travail est énorme, et cette dynamique doit être nourrie. Cela suppose que dans chaque diocèse, les responsables de l’Eglise en France diffusent, expliquent, et ancrent ce texte prophétique dans notre vie. Cela fut souvent fait pour Laudato Si , ce qui a montré le lien entre l’Eglise et nos défis. Fratelli tutti peut nourrir des engagements quotidiens et des choix politiques majeurs. L’Eglise en France doit nous le rappeler.
Philippe Segretain, membre du CA des Semaines sociales de France