Replay : « Synode sur la synodalité, ce qui a bougé, ce qui est à bâtir.»
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Dossier Rencontres anuelles
Migrations et réalités: quelques repères
Le débat sur l’immigration, tel qu’il se déroule depuis de nombreuses années en France, nous cache les réalités et peut faire peser des menaces sur notre démocratie en exacerbant les peurs. Il est temps d’en revenir aux faits, d’en rappeler quelques principes et d’ouvrir quelques voies pour faire évoluer cette situation. Ces trois journées de la 72e session des Semaines sociales de France, consacrées aux « Migrants, défi et richesse pour notre société », nous fournissent, me semble-t-il, beaucoup de matériaux utiles pour remplir cette tâche. Voici ceux que j’ai repérés, personnellement, en attendant que le Conseil des Semaines sociales élabore des conclusions plus complètes qui seront publiées avec la recension des exposés, des débats en séances plénières et des échanges en carrefours.
La France n’est plus un pays de forte immigration. Elle a fermé ses frontières aux travailleurs étrangers depuis plus de vingt ans ; elle accueille de moins en moins de membres des familles des étrangers installés en France, de moins en moins d’exilés pour des raisons politiques et de moins en moins d’étudiants. Cessons de voir notre pays comme une forteresse assiégée par des flots d’assistés ou de bandits. Quant à la population d’origine étrangère installée en France, il ne faut pas sous-estimer la part qu’elle a prise dans la constitution de la France actuelle. Sans elle, nous aurions douze millions d’habitants en moins, qui sont autant de travailleurs et de consommateurs. Il n’est pas démontré que nous aurions moins de chômeurs, car ces consommateurs nous feraient défaut, et ces travailleurs n’auraient pas nécessairement été remplacés par des travailleurs d’origine nationale, puisque précisément nous avons fait venir des étrangers pour occuper des emplois dont nous ne voulions plus.
Le deuxième fait majeur est qu’on serait dans une contradiction totale si l’on pensait qu’on peut intensifier les échanges de biens, de services, de capitaux, de techniques et d’idées et réduire – dans le même temps – les mouvements de personnes. Non seulement ce serait contradictoire, mais aussi ce serait dangereux : le mur de Berlin est tombé sous la poussée d’une migration, facteur décisif de démocratisation ; la paix en Europe est fondée sur l’intensification des échanges : il en sera de même, demain, pour la paix en Méditerranée.
Pour des chrétiens, le rapport à l’étranger touche au plus profond de leur spiritualité, comme Paul Ricœur et le père Berjonneau nous l’ont magistralement rappelé. Comme nos pères évêques l’ont réaffirmé à Lourdes et comme le cardinal Sodano nous le dit avec force dans le message qu’il nous a adressé de la part du Saint-Père. Le dessein de Dieu, les paroles du Christ en la matière, sont sans équivoque. Il ne s’agit pas de baigner dans l’eau tiède les problèmes de migration, mais de construire sur nos livres sacrés la grille de lecture à travers laquelle nous les appréhendons. Nous sommes tous d’anciens barbares venus d’ailleurs, nous a rappelé Ricœur. Nous sommes presque tous, en France, des gentils qui avons recueilli une religion venue du monde sémitique. Nous sommes tous différents et pourtant similaires, sinon semblables. Nous ne pourrons survivre, collectivement, qu’en exerçant un devoir d’hospitalité et qu’en reconnaissant un droit d’hospitalité. C’est-à-dire en récusant la cruauté dans nos rapports avec autrui, en refusant l’humiliation et en honorant la dignité de l’autre. Naturellement cela ne peut exister sans réciprocité. Les règles de droit sont faites pour organiser celle-ci. Si je vais chez l’autre, c’est en respectant ce qu’il est, dans son identité profonde.
La France a une identité, dont elle n’a aucune raison d’avoir honte. Mais elle doit se rappeler que cette identité ne s’est pas construite en un jour et qu’elle ne cesse d’évoluer, fût-ce insensiblement. Du temps des cathédrales aux droits de l’homme, de François Villon à Charles Aznavour (un « arménoche »), de Lavoisier à Marie Curie (une « polack »). Le jazz, le rock, le rap sont venus d’ailleurs ; et ce sont parfois des enfants d’immigrés qui les fondent dans notre culture nationale, dont ils deviennent parties constituantes.
Enfin, troisième principe : le respect de la légalité. Aucune société démocratique ne peut subsister si les lois qu’elle vote sont inappliquées. La nouvelle législation dont on discute ces jours-ci au parlement est ce qu’elle est : probablement plus humaniste dans son inspiration et plus consensuelle dans l’opinion publique que certaines règles antérieures. Mais elle n’abolit pas tout ce qui précède et qui n’était pas le fait d’esprits aussi rétrogrades que certains l’ont dit. Dans la mesure où certaines règles existantes étaient inappliquées parce qu’inapplicables, mieux vaut les réformer. A condition, cette fois, de les appliquer, dans leurs dispositions positives comme dans leurs dispositions répressives. Mais, dans tous les cas, dans le respect de la dignité due aux personnes et après avoir veillé à ce que nos structures administratives aient définitivement rompu avec des réflexes hérités de notre passé colonial et qui font qu’on ne traite pas toujours un Africain comme un Européen. Bien souvent les fonctionnaires en charge de ces questions sont en nombre insuffisant, alors qu’ils peuvent être en surnombre ailleurs.
La mise en œuvre de toutes ces nouveautés suppose que nous rompions avec la priorité donnée, aujourd’hui, par les politiques publiques, à l’action sur les flux migratoires (nous avons vu qu’ils ne cessaient d’amenuiser), de préférence à l’action sociale concernant des populations installées depuis longtemps et d’autant plus durablement qu’en fermant tout espoir de retour, nous les décourageons à repartir.
Cette négligence dans la politique sociale aboutit à faire supporter par les parties les plus pauvres de la population française le coût des frustrations et des rancœurs ressenties par les populations d’origine étrangère. Ne soyons pas surpris si ces Français se dirigent alors vers les forces politiques qui dénoncent avec le plus de vigueur la présence des étrangers. L’erreur majeure a probablement été commise en laissant se concentrer dans des quartiers spécifiques une trop forte densité de populations déracinées. On n’inversera pas cette tendance du jour au lendemain ; mais une action vigoureuse de restructuration des villes doit être entreprise aujourd’hui si l’on veut préparer pour demain des lieux de vie qui ne soient pas une superposition de ghettos. Cela rejaillira sur la carte scolaire et les autres formes d’intégration. Car celle-ci reste vivante en France, malgré les difficultés du moment. Notre pays n’est nullement en route vers un système où des communautés spécifiques seraient encouragées à cultiver leurs différences. Ce que l’on appelle le communautarisme. Personne ne le souhaite. L’existence d’une assez forte population d’origine islamique ne contredit pas ce constat. Cette population doit pouvoir pratiquer sa religion comme elle le souhaite, sous réserve du respect des lois de notre pays. Pour ce qui, par exemple, dans le statut de la femme, relève des lois – et pas seulement des mœurs -, aucune régression n’est envisageable.
L’intégration des populations d’origine étrangère par le quartier, l’école ou le mariage ne doit pas conduire à sous-estimer le rôle de l’activité professionnelle. Dans un pays durement frappé par le chômage, tout ce qui contribuera à faire reculer celui-ci pour tous les travailleurs améliorera aussi la situation des migrants. Nous ne pouvons nous contenter durablement du rythme de croissance que nous connaissons depuis le début de la décennie et qui laisse inemployés tant de moyens de production. Mais nous pourrions également mieux valoriser les qualités propres de ces populations qui ont su prendre des risques et faire preuve d’initiative pour quitter leur pays d’origine. Il y a certainement là quelques graines d’entrepreneurs qu’il faut encourager.
En ce qui concerne l’immigration par la participation à la vie de la cité, le plus urgent n’est peut-être pas d’élargir le droit de vote (encore qu’il soit reconnu aux étrangers, au niveau local, chez beaucoup de nos voisins). Ce serait plutôt d’organiser des formes de démocratie participative (valables autant pour les Français d’origine) au plus près des réalités quotidiennes.
Quant à l’action sur les flux migratoires, cessons de cultiver le mirage de l’immigration zéro. Nous savons bien qu’avant dix ans, compte tenu de la chute inéluctable de notre population active, il faudra recourir à nouveau à des travailleurs étrangers. D’ores et déjà, que serait notre médecine hospitalière sans les médecins étrangers ? Et que serait notre enseignement scientifique sans les professeurs de mathématiques et de sciences venus d’ailleurs ? Organisons donc, à travers des accords intergouvernementaux, des échanges qui puissent être favorables aussi bien aux pays de départ qu’à nous-mêmes, avec des procédures de retour. Fixons-nous un objectif : qu’à l’horizon de la prochaine décennie tout immigré actif soit perçu comme un coopérant, tout pays d’origine comme un associé, ainsi que nous-mêmes pour ce pays. Autrement dit, transformons la migration en mobilité. C’est ainsi que prendra forme, progressivement, ailleurs que dans les mots, un processus de codéveloppement.
Enfin, sachons que désormais toutes nos réflexions, toutes nos actions en matière de migration doivent être conduites à l’échelle de l’Union européenne. La tentation sera grande de transférer au niveau européen le fantasme de la forteresse assiégée. La France, un des rares pays européens ayant une longue expérience de forte immigration, a une responsabilité particulière dans la définition d’une politique européenne à cet égard. Elle doit l’assumer sans complexe.
Le moment est venu d’inverser radicalement le processus par lequel nous voyons le migrant devenir le clandestin en attendant d’être le marginal, puis l’exclu. Cela comporte un risque, pour des chrétiens; de ne pas toujours être compris par le milieu social, mais nul disciple n’est plus grand que son maître… Cela n’implique ni naïveté ni sensiblerie. Simplement fidélité à nos valeurs et conscience des réalités.
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