Quel avenir pour la civilisation européenne ?

Présentation de l’appel pour l’Europe d’IXE au Collège des Bernardins par Philippe Segretain

Au Collège des Bernardins le 15 mai 2019 s’est tenu le colloque conclusif du Séminaire « Passé et Avenir de la Civilisation Européenne » dont les SSFr sont partenaires. Au cours d’une table ronde où il a dialogué avec Enrico Letta, Gaetane Ricard Nihoul et Snesca Mihailovic, (Europa Nostra) Philippe Segretain a commenté les « DIX PROPOSITIONS POUR UN AVENIR PERSONALISTE » issues du Séminaire en s’appuyant sur l’appel d’Initiative des Chrétiens pour l’Europe.

[…]

Nourrir notre civilisation commune c’est dialoguer avec ceux qui actualisent, enrichissent nos propositions, mais c’est aussi débattre avec des pensées plus disruptives ; je pense par exemple à notre dialogue avec John Milbank … Et nous devons cette chance à ce séminaire du Collège des Bernardins.

A dix jours des élections au Parlement Européen « Inventer un personnalisme législatif » semble une proposition pertinente, la nourrir des précisions apportées par mes trois prédécesseurs dans les domaines institutionnels culturels ou économiques crédibilise la vision, dont Enrico Letta a souligné le manque, mais serons-nous entendus ? Apparemment pas par les citoyens qui s’abstiendront. Le clivage entre ce que nous représentons et l’opinion publique a été rappelé.

Pourtant le débat politique réserve des surprises, ainsi alors que l’Economie Sociale de Marché, citée dans votre proposition 5 ne semble plus au cœur du débat politique allemand, serait-ce de France que viendrait la novation ? L’appel signé par les responsables du MEDEF , de la CPME, de la CFDT, de la CFTC , attitude bien rare dans notre pays, enrichi ce concept d’E.S.M. d’une dimension environnementale et insiste sur le fait que le niveau européen est sur ce thème et pertinent et possible .Et votre proposition 5 nourrie par les travaux lancés , ici même aux Bernardins ,à l’initiative de Beaudoin Roger est plus précise ,et demande de s’appuyer sur une redéfinition des entreprises, pour qu’elle fasse communauté , et le rôle des différentes communautés entre l’individu et la nation a et rappelé par les pédagogues personnalistes que nous avons entendus. Ce travail fut tout juste amorcé dans la loi PACTE qui butte toujours sur l’argument , opposé aux propositions d’amendements portées par le Député Dominique Potier qui nous a rejoint, de l’impossibilité d’avancer au seul niveau national : la proposition 5 est donc bien à prendre en compte et peut nourrir le débat européen.

Cet appel à des politiques solidaires pourrait donc, aurait pu, structurer cette campagne…

Cette nécessaire solidarité en Europe est au cœur de l’appel lancé par 12 organisations européennes rassemblées par IXE, Initiative des Chrétiens pour l’Europe :la dimension spirituelle de l’engagement politique européen est bien là. C’est en 2000 que les Semaines sociales de France se rapprochèrent du Comité Central des Catholiques Allemands, le ZDK pour publier u manifeste « Pour une conscience européenne » Aujourd’hui les 12 organisations partenaires rassemblent 15 pays, le l’Est et de l’Ouest , et du sud . Autour d’un texte structuré autour de la tension solidarité/responsabilité, mais qui intègre aussi d’autres thèmes évoqués par vos propositions, ainsi La Paix, dans le respect de la souveraineté, votre proposition 8 ou encore la politique migratoire votre proposition 9.

Quelques mots sur la méthode avant d’en rappeler les conclusions :

« En tant que chrétiens en Europe, nous…. » Cette conclusion de l’appel lancé par IXE, semble dire une évidence : notre capacité à nous engager ensemble au nom d’une foi partagée. La conception et la rédaction de cet appel montrent que dire « nous » suppose une démarche préalable parfois délicate. Or l’occasion est là : chaque citoyen européen est appelé le 26 mai à élire son représentant au Parlement, unité de temps, unité d’action.

Première difficulté ce théâtre politique ne connait pas l’unité de lieu : concevoir ce texte à Cracovie, le rédiger à Luxembourg, le valider à Milan, oblige les rédacteurs, a priori bien disposés pour assumer leur diversité, à des remises en cause que diplomates et eurocrates pratiquent sans doute quotidiennement mais qui peuvent surprendre le militant de base. Europe de l’ouest, centrale, de l’est : première distinction dérangeante : certes l’architecture de nos villes témoigne de notre culture commune mais la géopolitique s’impose dans le débat, et l’histoire, ancienne ou récente, est présente dans l’évocation des empires voisins, des tensions dramatiques, et donc des thèmes que cette élection devrait, pour certains d’entre nous, prendre en compte.

Deuxième prise de conscience : les différences dans notre rapport à la cité.

Malgré les régionalismes l’Etat-Nation est pour nous, Européens de l’ouest, une réalité assumée, quand nos partenaires, slovènes ou croates par exemple, nous disent la différence perçue entre citoyenneté et nationalité. Dire « Nous »suppose de prendre conscience que le partenaire peut avoir un rapport à l’espace politique différent du nôtre.

Troisième décalage : la diversité des rapports entre le spirituel et le politique.

Notre sainte laïcité se confronte d’abord à ceux pour qui le religieux est constitutif de la conscience nationale. Plus près de nous la capacité de nos amis allemands à nommer et valoriser les choix religieux des personnalités politiques va bien au-delà du rôle de la démocratie chrétienne : des chrétiens s’engagent dans les différents partis comme chrétiens.

Voici trois de nos différences d’approche, et pourtant nous avons rédigé un texte ensemble.

L’analyse et les admonestations du Pape François ont été utilisées comme un fil conducteur: c’est devant le Parlement de Strasbourg en 2014 qu’il a rappelé que le pragmatisme économique fondateur ne suffisait pas à construire l’Europe d’aujourd’hui. La fonder sur la « sacralité de la personne » est bien une prise de position politique forte qui nous unit. Elle fut saluée par ces européens qui lui ont attribué en 2016 le prix Charlemagne. Nous avons rappelé une conséquence de cette affirmation : la solidarité, ce lien entre droit et devoir à tisser dans l’espace et dans le temps. La diversité des ancrages géographiques des auteurs n’a pas fait obstacle au rappel que cette solidarité était due entre nous, et vers ceux qui nous appellent à l’aide.

Appeler à des politiques fiscales et budgétaires responsables qui intègrent ces exigences sociales est un choix politique, et le texte d IXE devient plus précis : le Parlement Européen doit être acteur de ces politiques structurelles.

Sur les migrations, le droit d’asile, le texte pointe les tensions internes à la communauté des croyants et leur demande de reprendre le nécessaire dialogue. L’acte citoyen ne se réduit pas au vote et suppose de mobiliser d’autres outils pour faire vivre cette solidarité: les églises, les associations proches, comme les signataires, en sont et doivent se mobiliser.

La fin du texte sur la subsidiarité n’est en rien une tentative d’optimiser le fonctionnement de l’Europe, elle est reconnaissance de notre diversité, condition de l’exercice de la démocratie, respect de nos différents ancrages culturels et religieux. Elle pose la subsidiarité non comme un mode d’optimisation fonctionnelle, décider et faire au niveau le plus efficace, mais comme un préalable à l’appropriation de l’espace politique par le citoyen. La subsidiarité condition de l’exercice démocratique.

Rédigé en anglais, en français, en allemand, débattu en anglais, puis réécrit pour ôter les lourdeurs d’un texte négocié, ce texte a été approuvé par les différentes associations et a été librement utilisé dans chaque pays. Au moment où les Semaines sociales se réinventent et transforment leur mode de présence dans le débat public français, en privilégiant le partage d’expérience, le discernement collégial sur l’expertise diffusée ex cathedra, ce texte montre la vitalité du réseau européen auquel appartiennent les Semaines sociales. L’écosystème dans lequel nous travaillons la pensée sociale de l’Eglise a bien cette dimension.

Cet appel rédigé avant que ne se stabilise l’offre politique pour ces élections ne peut être réduit à un choix partisan. Il dit aux candidats et aux rédacteurs de leur programme nos objectifs, nos critères ; il donne à l’électeur un outil pour analyser ces programmes et y discerner les convergences avec nos objectifs/

Mais sommes-nous audibles ? Je note que deux des thèmes cités dans vos propositions ne sont pas évoqués dans cet appel :

« Promouvoir un droit personnaliste dans les médias » et « mettre en œuvre un humanisme digital » et j’aimerais partager ce manque avec mes collègues lors de notre prochaine réunion cet automne en Croatie, non pas pour alimenter immédiatement ces deux propositions, mais pour partager entre militants de différents pays sur un manque, avons-nous su, savons-nous renouveler notre rapport aux medias, classiques ou digitaux ?

Malgré la qualité du consensus qui apparaît lors de nos débats notre décalage par rapport aux opinions publiques nous interpelle !

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