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Dossier Europe
La question migratoire est d’essence européenne, c’est d’abord ce que nous rappelle le tragique naufrage d’un chalutier d’origine libyenne au large du Péloponnèse. Près de 700 personnes étaient à son bord dont moins d’une centaine ont pu être secourues, une catastrophe humanitaire dont les causes sont encore peu claires. Devant pareille tragédie nous sommes frappés d’horreur et saisis de mauvaise conscience. Ce « nous » est européen. Chargé de ressortissants égyptiens, pakistanais, afghans, iraniens, le navire cherchait à gagner l’Italie, plaque tournante des destinations européennes. Si l’Allemagne est l’une des plus prisées, tous les autres pays de l’Union européenne, à de rares exceptions restent des havres de sécurité et de prospérité au regard de ce que les exilés volontaires veulent, le plus souvent, quitter. Quel puissant espoir d’une vie meilleure se manifeste ainsi au point de braver une mort, relativement probable, pour nous rejoindre !
Face à ce dilemme – se fermer de plus en plus ou accroître le malaise civilisationnel qui nous traverse – que vaut l’accord majeur intervenu à Luxembourg entre les ministres de l’intérieur de l’Union européenne le 8 juin, soit une semaine avant cette tragédie ? Pour quiconque un tant soit peu familier des arcanes européennes, les défauts sautent aux yeux : accord majoritaire mais exposé à la mauvaise volonté récurrente de la Pologne et de la Hongrie, promis à d’âpres négociations avec le Parlement européen, et surtout complexité impressionnante des dispositions, notamment celles qui concerne les nouvelles « procédures aux frontières » ou la gestion prévisionnelle de la solidarité entre les États.
Pourtant je voudrais surtout faire valoir deux dimensions politiques que cet accord incarne et qui méritaient bien près de trois années de négociation. L’accord préserve le principe du droit d’asile comme un acquis fondamental de l’UE. Il reste susceptible d’être sollicité par toute personne arrivant sur le territoire européen, alors que de nombreux pays préconisent son externalisation, à l’instar du Royaume-Uni et du Danemark. Il organise aussi de façon pérenne la solidarité pour l’instruction de l’asile de manière plus équitable et mieux prévisible que ce n’était le cas dans le règlement dit de Dublin datant de 2013.
À cela la société civile, c’est-à-dire tous ceux qui se font un devoir de prêter secours et assistance aux « exilés », sera en droit d’objecter que dans ce compromis les garanties dues aux migrants arrivant irrégulièrement sur le sol européen sont réellement amoindries. Mais comment faire autrement ? Les alternatives à la politique migratoire européenne qui seraient plus respectueuses des droits et de choix des personnes migrantes impliquent de libéraliser les conditions d’accès au marché du travail européen, dans le cadre d’accords réciproques avec les pays d’origine, du type de ce qui fut esquissé par les Nations unies en 2018 à Marrakech. Elles sont un vœu pieux au regard de ce qui est acceptable par la majorité des forces politiques européennes. Les réactions d’indignation face au drame des noyades en Méditerranée et dans la Manche sont le signe que nous n’avons pas perdu le sens de notre humanité commune. Mais nous devons, particulièrement en France, faire la vérité et agir en conséquence sur les non-dits de l’intégration des populations de culture musulmane.
Jérôme Vignon
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