Dossier Europe

Pour un devoir de vigilance ambitieux

L’humain avant le profit : inclure le secteur financier dans la directive en cours de négociation sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de droits de l’homme et de développement durable.

23 septembre 2023.

La mondialisation ne doit pas conduire à la prospérité de quelques-uns, mais doit créer la justice pour tous. Motivée par une profonde aspiration à un monde juste et durable, inspirée par notre foi chrétienne commune et les expériences de nos organisations membres, IXE – Initiative des chrétiens pour l’Europe – a publié cette déclaration.

Les secteurs sont nombreux, les exemples innombrables : le droit du travail est bafoué dans de nombreuses usines textiles, même dix ans après l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza à Savar, au Bangladesh, la catastrophe la plus meurtrière de l’histoire de l’industrie de l’habillement. Plusieurs projets miniers privent d’eau la population locale. Souvent, du bétail paît dans des zones de forêt tropicale illégalement déboisées. A une époque de guerres et de conflits où la pauvreté augmente, face à l’aggravation de la crise du climat et de la biodiversité, nous avons besoin de toute urgence d’un commerce équitable et respectueux de l’environnement. De nombreux produits qui font partie de la vie quotidienne en Europe ont été fabriqués dans une chaîne qui inclut des violations des droits de l’homme et de l’intégrité de l’environnement. Au-delà de notre comportement individuel, la justice nécessite un cadre juridique contraignant. C’est pourquoi plusieurs États membres de l’Union européenne ont adopté des lois nationales sur le devoir de vigilance.

La Commission a présenté sa proposition de directive européenne en février 2022. Dans le cadre du trilogue institutionnel initié en juin 2023, il est possible de parvenir à un changement de paradigme en matière de relations commerciales. C’est l’occasion de défendre la dignité humaine, de protéger les droits de l’homme et l’environnement de manière cohérente tout au long des chaînes de valeur, au moyen d’une législation européenne forte qui apporte une contribution importante à une mondialisation responsable. Un cadre juridique obligeant les entreprises à respecter les droits de l’homme et les normes environnementales à l’étranger est un instrument permettant de réduire les inégalités dans le monde, de prévenir les causes de l’exil des migrants et d’endiguer la crise écologique.

C’est pourquoi, en tant que réseau européen supranational, IXE demande au Parlement européen, au Conseil de l’Union européenne et à la Commission européenne une directive ambitieuse inspirée des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Notre appel, en ligne avec les Objectifs de Développement Durable (ODD) et avec plusieurs principes de l’Enseignement Social Catholique, la dignité humaine, l’option préférentielle pour les pauvres et la durabilité, rejoint celui de nombreux citoyens européens, entreprises, investisseurs et organisations internationales telles que l’OCDE , le HCDH , l’OIT .

De notre point de vue, les étapes suivantes sont cruciales pour les négociations du trilogue :

1. S’attaquer aux violations des droits de l’homme : la directive doit s’attaquer aux violations des droits de l’homme ainsi qu’aux non-respect des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) et du consentement préalable, libre et éclairé (FPIC), qui est d’une grande importance, en particulier pour les populations autochtones. Les groupes vulnérables, en particulier les femmes, les enfants et les travailleurs migrants, ont besoin de la protection de la directive.

2. S’attaquer aux impacts environnementaux : Dans le contexte de la crise du climat et de la biodiversité, la protection de la Création doit être au cœur de toutes les activités des entreprises. Les entreprises européennes ont contribué de manière significative au changement climatique. Par conséquent, le cadre juridique doit couvrir un éventail plus large de risques et d’impacts environnementaux afin de remédier aux nombreux effets négatifs des activités des entreprises sur l’environnement. Les entreprises doivent être tenues d’élaborer des plans de protection du climat ambitieux et vérifiables, assortis d’objectifs de réduction concrets et de calendriers. Nous avons besoin d’exigences sanctionnables en matière d’objectifs climatiques afin d’éviter le « greenwashing ».

3. Couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur et inclure le secteur financier : de nombreuses violations de la protection de l’environnement et des droits de l’homme se produisent au début de la chaîne de valeur. Nous préconisons une approche basée sur le risque. Le processus de vigilance raisonnable d’une entreprise doit s’appliquer à ses partenaires commerciaux et couvrir les domaines généraux de risque significatif dans leurs activités. Afin de combler les lacunes, la directive doit porter sur l’ensemble de la chaîne de valeur, y compris les risques et les impacts en amont et en aval, des entreprises employant 250 personnes et plus, ainsi que des petites et moyennes entreprises (PME) dans les secteurs à risque, sous réserve de seuils appropriés .

Il est primordial de s’intéresser au secteur financier en raison de son rôle dans le financement des activités économiques mondiales dévastatrices. En même temps, le secteur financier est un levier important pour mobiliser les investissements en faveur du développement durable et pour lutter contre le changement climatique. Nous nous opposons aux tentatives d’exclure le secteur financier de la directive et nous soutenons la position du Parlement et de la Commission à cet égard.

4. Des exigences de « reporting » étendues et réalisables : le cadre juridique doit inclure une obligation de « reporting » et de documentation détaillée afin de parvenir à plus de transparence et de traçabilité. Plus l’entreprise est grande et plus le secteur est risqué, plus les exigences de la directive doivent être strictes et étendues.

5. Garantir l’accès des victimes à la justice : Les dispositions relatives à la responsabilité civile et à l’accès à la justice ne sont pas assez fortes dans la proposition de la Commission européenne. Les personnes affectées doivent être en mesure d’intenter des poursuites devant les tribunaux des Etats membres de l’UE. Nous demandons instamment aux deux institutions, le Conseil et le Parlement qui a le mandat de négociation le plus ambitieux, d’améliorer les dispositions correspondantes. Lorsque des entreprises causent ou contribuent à causer des dommages, il ne devrait pas incomber aux seules victimes de fournir des preuves. Les tribunaux devraient pouvoir ordonner à une entreprise défenderesse de divulguer des preuves supplémentaires lorsque cela est nécessaire pour prouver pleinement une plainte. La directive devrait aborder les obstacles pratiques auxquels sont confrontées les victimes en quête de justice, à savoir, par exemple, l’accès rendu difficile aux informations importantes, les délais de prescription et les obstacles à l’accès à l’action collective. La pleine participation des parties prenantes à la mise en œuvre de la directive et la protection des groupes vulnérables sont essentielles à son efficacité.

Nous appelons les décideurs politiques des trois institutions européennes à élaborer une directive européenne sur le devoir de vigilance qui soit efficace et applicable. Pour reprendre les mots du Pape François : « La plus grande préoccupation (des décideurs politiques) ne devrait pas être une baisse dans les sondages, mais de trouver des solutions efficaces au phénomène de l’exclusion sociale et économique » .

– Josian Caproens, BELGIQUE, Conseil pastoral interdiocésain (IPB) / Forum européen des comités nationaux de laïcs (ELF).

– Raphael de Araújo Bittner, ALLEMAGNE, Zentralkomitee der deutschen Katholiken.

– Isabelle de Gaulmyn, FRANCE, Semaines Sociales de France.

– Dr Stefan Eschbach, ALLEMAGNE, Zentralkomitee der deutschen Katholiken.

– Dr Roman Fihas, UKRAINE, Institut d’études œcuméniques, Lviv.

– Claudia Gawrich, ALLEMAGNE, Zentralkomitee der deutschen Katholiken

– Janko Korošec, SLOVÉNIE, Socialna akademija.

– Norbert Kreuzkamp, ALLEMAGNE, Acli Allemagne.

– Père Benoit Willemaers. sj, BELGIQUE, Centre social européen des Jésuites.

– Mary McHugh, ROYAUME-UNI, National Board of Catholic Women of England and Wales & RENATE (Religious in Europe Network Against Trafficking and Exploitation).

– Petr Mucha, RÉPUBLIQUE TCHÈQUE, Académie chrétienne tchèque.

– Théo Péporté, LUXEMBOURG, Journées sociales de Luxembourg ASBL.

– Neven Šimac, CROATIE, Centre d’études et de documentation européennes R. Schuman.

– Sabine Slawik, ALLEMAGNE, ANDANTE. Alliance européenne des associations de femmes catholiques.

– Marie Louise van Wijk-van de Ven, PAYS-BAS, Réseau des femmes catholiques des Pays-Bas.

– Henryk Woźniakowski, POLOGNE, Fondation Znak pour la culture chrétienne.

L’Initiative des chrétiens pour l’Europe (IXE) est une association d’organisations laïques et de chrétiens engagés de différents pays européens. L’objectif général d’IXE est d’intégrer une conscience plus vive d’une Europe unie dans les débats nationaux. L’initiative vise à favoriser la rencontre des chrétiens en Europe et à promouvoir la doctrine sociale de l’Église afin de parvenir à une meilleure connaissance et compréhension mutuelles des différences historiques et culturelles.

Pour plus d’informations : christiansforeurope.com

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