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Chaque semaine, un regard différent sur l'actualité.
Régulièrement les Semaines sociales de France proposent un voyage apprenant principalement au cœur des institutions européennes pour comprendre, échanger ensemble et avec les députés européens mais également en France dans des quartiers.
Les principes de la pensée sociale de l'Église sont tous orientés vers le respect et la promotion de la dignité humaine. La dignité procède du fait que toute personne est créée à l'image de Dieu et qu'elle est appelée au salut.
La plateforme met en avant les initiatives de terrain en relation avec la pensée sociale chrétienne. Ces témoignages alimentent vos réflexions et vous donnent envie de vous engager pour dupliquer autour de vous ces actions ? Contribuez vous aussi la plateforme. Partagez vos initiatives via via plateformedubiencommun@ssf-fr.org
Dossier Europe
La création des Semaines Sociales, au début du siècle dernier, s’est faite au croisement de trois crises : crise de l’économie dans l’expansion industrielle qui ébranlait l’équilibre de la société rurale, crise politique dans une Europe traversée par les conflits de la France avec l’Allemagne (1870-1914), crise de l’Église, à la veille des lois de 1905 qui devaient conduire à la séparation de l’Église et de l’État. Malgré cela, nos prédécesseurs de 1904 demeuraient préoccupés de l’évolution sociale des populations ouvrières, je pense ici au textile et aux mines. A l’heure même où Marx préparait son manifeste et publiait L’idéologie allemande, l’archevêque de Cambrai écrivait une lettre pastorale : « Si la Religion sait noblement apprécier le Travail, elle sait aussi le régler. A côté de la loi qui l’impose, elle a placé la loi qui le modère »… Et après avoir évoqué les conditions de travail lamentables des enfants et des femmes dans les fabriques, il dénonce « cette exploitation de l’homme par l’homme, qui spécule sur son semblable comme sur un vil bétail, ou comme sur un agent et un pur instrument de production ».1
De la protestation au droit. Remarquons l’insistance mise par l’évêque sur le droit, il pose la question en ces termes pour opposer aux « lois de l’économie » un droit du travail où la nature de l’homme est prise en compte ainsi que les conséquences sociales, morales et religieuses, de l’évolution industrielle. Cette préoccupation sera celle de nombreux laïcs catholiques qui s’attacheront à « penser autrement » la transformation sociale par le travail. Il en est résulté de nombreux courants et mouvements ; ils alimenteront l’enseignement social de l’Église. Celui-ci trouvera une première expression systématique dans l’encyclique de Léon XIII Rerum Novarum, traitant des conditions de la vie ouvrière. Nous y trouvons la même recherche d’un droit protecteur de l’homme, en opposition à un libéralisme sans contrôle. Pour sauvegarder la dignité humaine des travailleurs et préconiser l’humanisation du travail productif.
Il n’est pas étonnant alors que, dix ans après l’encyclique, les promoteurs des Semaines sociales aient eu cette même perspective d’un droit du travail et que ce soient des professeurs de droit qui, à Lyon comme à Lille, aient formé le projet d’assises sur l’évolution économique et politique que la société était en train de produire. Énoncer les exigences juridiques concrètes d’une morale humaniste et chrétienne leur semblait urgent pour endiguer les forces du capital et du progrès industriel. Et susciter un syndicalisme chrétien. Nous devions retrouver le même langage chez Pie XI dans l’encycliqueQuadragesimo anno (40ème anniversaire de Rerum Novarum) Certes, les chrétiens n’étaient pas les seuls à s’exprimer sur cette situation du monde du travail. Nous avons évoqué Marx, mais il faudrait parler d’Engels, de Proudhon et de tant d’autres qui, au nom du socialisme, s’inscrivaient dans le débat pour refuser les règles du capitalisme d’alors. Les encycliques critiquaient en ces courants la part prépondérante attribuée à l’État, le recours à la violence dans les luttes et la suppression des médiations ; ici les Papes se référaient au rôle social des « corporations » supprimées par la loi Le Chapelier lors de la révolution française. Renonçant à s’allier aux courants socialistes d’alors pour ces raisons, des chrétiens chefs d’entreprise entendaient traiter les problèmes par des initiatives sociales concernant l’encadrement, la formation, l’éducation par des patronages catholiques, le logement des travailleurs et de leur famille. Ou encore des « communautés de travailleurs » ; citons dans notre région Léon Harmel à Reims ou Philibert Vrau à Lille, Jules Catoire et, plus tard Emile Coliche. Notons aussi, à cette époque, l’arrivée de nouvelles populations venues d’autres pays : des italiens et des polonais dans les mines. Durant la première partie du vingtième siècle, la réflexion des Semaines sociales balise les grands problèmes philosophiques et politiques de la société, elles sont à la recherche d’un sens chrétien du progrès et de l’évolution des techniques de production. Qu’il s’agisse de la famille, du monde rural ou des relations internationales en 1932 à Lille, elles ouvrent à des universitaires, à des prêtres, à des chefs d’entreprise, des espaces de parole et d’imagination. En lien avec l’épiscopat, elles relisent dans une actualité particulièrement fébrile -les années 29 et 30- les messages du Pape, tout en prenant leurs responsabilités propres d’hommes et de femmes immergés dans l’action et les courants de pensée d’une époque particulièrement instable. Il s’agit d’ériger contre les dérives des puissances économiques destructrices de l’humain un ordre fondé sur la justice, le juste salaire, le droit des familles au travail, une relation équitable entre le capital et le travail. Ceci fut rappelé par Jean-Paul II, lors de son passage à Saint Denis en mai 1980 ; il soulignait : « Que cet ordre doit être continuellement réalisé dans le monde, et même qu’il doit être réalisé de nouveau, au fur et à mesure que croissent et se développent les situations et les systèmes sociaux, au fur et à mesure des nouvelles conditions et des possibilités économiques, des nouvelles possibilités de la technique et de la production, et en même temps des nouvelles possibilités et nécessités de distribution des biens ». 2
De l’enseignement à l’engagement. Mais le Concile Vatican II devait promouvoir une attitude toute nouvelle de l’Église en tant qu’autorité : elle remettait désormais aux laïcs la construction de « l’ordre temporel » comme leur « tâche propre ». Dans l’esprit de l’Évangile et de l’Église, »ils doivent en ce domaine agir par eux-mêmes d’une manière bien déterminée ». Et plus encore : « Membres de la cité, ils ont à coopérer avec les autres citoyens suivant leur compétence particulière en assumant leur propre responsabilité et à chercher partout et en tout la justice du Royaume de Dieu ». 3 Nous quittons le domaine du droit et de la proclamation de repères en vue de promouvoir un ordre juste, pour celui de l’engagement sur le terrain où les principes chrétiens sont confrontés à l’action politique et économique ; ils s’inscrivent en des analyses communes avec d’autres acteurs économiques, politiques et sociaux. De telles orientations ne pouvaient que rejoindre la longue expérience des Semaines sociales dont le pluralisme des références s’était déjà exprimé en maintes sessions. L’eenseignement de l’Eglise s’offrait comme une source, et non un système concurrent, pour animer le corps social et la vie économique. C’était par ailleurs souligner, à la suite du texte concilaire sur L’Église dans le monde de ce temps l’aide que l’Église recevait de la société non-chrétienne elle-même dans sa tâche et son enseignement. Il ne s’agissait plus d’en rester à des organismes d’action sociale ou politique spécifiquement catholiques, mais de participer à tout ce qui était cohérent avec l’Évangile et les références de l’Église dans la société. Les chrétiens ne cherchaient plus à proposer une « troisième voie » entre libéralisme et marxisme, ils entraient dans ledébat au nom d’un souci de l’homme partagé avec d’autres, compte tenu du contexte actuel de notre économie de marché.
Inventer pour créer dans la diversité. Une étape importante devait être franchie par Paul VI dans sa Lettre au cardinal Roy en 1971, lorsque le Pape mit en relief la grande variété des analyses et des propositions pour traiter la nouvelle donne de l’économie mondiale. Les principes universels et les prescriptions sur le salaire, le capital ou les conditions de travail ne pouvaient plus être définis à partir d’une seule doctrine et être appropriés à toutes les parties du monde. « Face à des situations aussi variées, il Nous est difficile, dit Paul VI, de prononcer une parole unique, comme de proposer une solution qui ait valeur universelle… Il revient aux communautés chrétiennes d’analyser avec objectivité la situation propre de leur pays, de l’éclairer par la lumière des paroles inaltérables de l’Évangile ». Il en résulte qu’à partir d’un tronc commun de droits de l’homme ou de valeurs essentielles issues du christianisme, le recherche comme l’action se doivent d’être plurielles et en perpétuelle remise en cause. Nous n’en sommes plus aux principes éternels de la justice et de la charité mais devant leur inscription historique en des peuples et des cultures très diversifiées. Les propos du Pape remettent entre les mains des laïcs, en communion avec leurs pasteurs, le soin de produire et de créer des messages plus adaptés aux situations. Jean-Paul II reprendra souvent ce langage, tout en remarquant, ce qui est nouveau, le caractère systémique et dynamique des échanges économiques mondiaux4. Il relèvera pour les peuples en développement le rôle de la formation culturelle et du transfert des technologies pour construire une société de justice et de solidarité. Comme vous le voyez, les Semaines sociales ont tour à tour précédé, accompagné, suivi les impulsions de l’Église en matière sociale et économique. L’éthique sociale des chrétiens se fait ainsi parole du peuple de Dieu dans la variété des peuples et la dynamique de l’Évangile. Les mouvements chrétiens tels le MCC., l’action catholique, les EDC ou « Évangile et société », ont chacun selon leur personnalité contribué à la prise en compte des conséquences sociales de l’évangile pour notre actualité.
Au terme de ce chemin d’histoire, ce sera mon dernier point, de nouvelles pages me semblent devoir être écrites ensemble par les Semaines sociales à l’échelle de l’Europe, sinon du monde :
1. les perdants de la croissance. Nous l’avons dit : les Semaines sociales sont nées au croisement d’une crise sociale générée par la première industrialisation, d’une crise politique, d’une crise des rapports entre l’Église et l’État. De nos jours, la mondialisation, les nouveaux rapports des pays en Europe et de l’Europe avec les pays émergents, les conflits à connotation religieuse dans le monde, créent d’autres tensions, des disparités graves et de nouvelles incompatibilités entre groupes sociaux, voire nationaux. Or le christianisme, à la suite de Jésus dans l’Évangile, a osé interroger les pouvoirs sur la place du pauvre et du faible dans la société. Aujourd’hui il nous faut prendre en compte les perdants, individuels et collectifs, de la croissance. Nos systèmes, tant scolaire qu’économique, privilégient les gagnants et les performants. Trop de nos compagnons de route sont conduits à la marginalité et, en retour, ont recours à la violence pour se faire entendre. Nous refusons le fatalisme économique qui se résigne à quelque logique de marginalisation. La radicalité des questions issues de la tradition chrétienne doit être entendue pour faire droit à une fraternité concrète, elle se fonde sur des interdépendances converties en solidarités, comme l’a rappelé Jean-Paul II. L’avenir de la paix mondiale en dépend ; que peut être un vivre ensemble, un tissu social et un sens collectif dans un contexte de disparités multiples qu’aggravent les appels médiatiques à la consommation ?
2. des solidarités historiques. Pour l’Europe, nous cherchons un socle de valeurs qui soit commun au plus grand nombre. Parfois il s’agit du plus petit dénominateur commun, celui de la concurrence économique. Cela ne saurait suffire pour donner un équilibre aux relations entre les groupes humains. Le christianisme, en tous cas, ne peut être réduit à une réserve de valeurs spirituelles et morales ; il est une tradition génératrice d’alliances et de solidarités, il est une histoire qui a façonné, bon gré malgré, des générations où le souci de l’autre et le symbole de l’amour ont été transmis comme une utopie créatrice pour la vie en société. Nous le voyons en ce qui concerne la force armée et l’utopie d’une éthique de la « guerre juste », les stratégies de répression des violences et l’utopie du dialogue culturel et politique, la crispation contemporaine sur les identités nationales et l’utopie du devoir d’asile par l’accueil de l’étranger. Les forums de demain toucheront ces questions, elles sont souvent refoulées et refusées. Pour les chrétiens, Dieu n’est pas hors de l’histoire, son incarnation est une passion qui s’affronte aux standards de l’opinion publique dominante. Oser penser autrement l’avenir des peuples est une tâche risquée dont nous devons nous inspirer pour être cohérents avec la foi. L’Evangile nous précède sur cette voie.
3. redonner sa place à la culture dans le débat politique. À la fin du dix-neuvième siècle, les chrétiens d’Europe se sont ralliés à la démocratie suggérée par le Pape Léon XIII. Non sans peine car ils étaient amenés à changer leurs références fondamentales par rapport à la source de l’autorité et aux fondements de la loi. Admettre la sécularité des pouvoirs et la laïcité des institutions fut alors un débat difficile en France. Il devient de nouveau d’actualité par rapport aux visions théocratiques qui demeurent le cadre de référence de nombreuses cultures, tant séculières que religieuses. Au risque d’engendrer des systèmes modernes totalitaires. Ce débat s’avère culturel avant d’être politique. L’universalisme chrétien est censé traverser les barrières des races et des peuples, il conteste l’absolutisme des frontières nationalistes. Cela devrait ouvrir des réflexions sur la nouvelle donne du « paradigme démocratique » à l’échelon de la planète. Il me semble urgent de privilégier l’abord de ces « questions interdites » pour sauvegarder des espaces démocratiques.
4. redonner sa place à la politique par rapport à l’économie. Enfin, notre espace politique est souvent contourné par les relations économiques d’une forte mondialisation des échanges commerciaux, de la circulation des produits financiers et de la production-consommation des biens. En quoi l’Europe peut-elle être créatrice pour donner une réponse valorisant la politique comme régulatrice des échanges, de la justice et de la paix, en privilégiant des solidarités essentielles ? En particulier pour le maintien de l’emploi. Éveiller ce monde à des subsidiarités favorisant des croissances concertées est pour l’avenir de tous un horizon éthique indispensable. Là encore l’Évangile, les paraboles du bon Samaritain ou celle de Lazare et du riche, nous inspirent des inversions de fonctionnement social face aux pesanteurs d’une évolution économique internationale que nous ne savons pas maîtriser. Oui, une autre page est à écrire pour le deuxième centenaire des Semaines sociales, elle commence ce soir, et je vous la confie comme l’appel à un sursaut d’espérance pour les nouvelles générations
Mgr Gérard Defois
Appel urgent des Semaines sociales de France pour les élections européennes
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