Dossier Europe

L’avenir de l’Europe à 25

  • Par Romano Prodi
  • Conférence donnée au cours de la session 2004 des Semaines Sociales de France, « L’Europe, Une société à inventer ».

ROMANO PRODI, président de la Commission Européenne

Monsieur le Président Camdessus,

Mesdames et Messieurs les représentants des Autorités,

Mesdames et Messieurs.

Je remercie de tout cœur mon ami Michel Camdessus de m’avoir invité à inaugurer ces Semaines sociales de France.Je suis très heureux d’être ici et c’est pour moi un honneur d’accepter son invitation.Ce rendez-vous de Lille est spécial pour deux raisons.

o D’abord, parce que cette année marque le centenaire de la fondation des Semaines Sociales.

o Ensuite, parce que des représentants des 25 États membres de l’Union y assistent pour la première fois.

Le premier mai dernier, en effet, l’Union européenne est devenue une entité économique, politique et culturelle de 453 millions de citoyens.

Comme tout grand tournant historique, notre élargissement a suscité des doutes et des craintes. Ces réactions sont compréhensibles, compte tenu de la hauteur du défi, tant sur le plan économique que sur le plan culturel.

À ce dernier égard, en effet, il y a beaucoup à faire pour protéger et développer les identités nationales et locales des nouveaux États membres au sein de la grande famille que forme l’Union européenne.

La question revêt une importance essentielle, car nous devons tirer le meilleur parti de notre diversité, qui est notre grande richesse.

Ces doutes s’évanouissent toutefois face à une certitude majeure. L’adhésion des pays de l’Europe centrale et méridionale est une occasion historique, qui ne se représentera pas.

L’Europe est notre destin commun à tous, de Tallinn à Lisbonne, de Dublin à La Valette.

C’est d’elle que dépendent désormais dans une large mesure notre bien-être, notre influence dans le monde et notre capacité de préserver et de promouvoir nos valeurs.

En d’autres termes, seule l’Union peut garantir l’autonomie de l’Europe dans le contexte de la mondialisation.

Au premier rang des valeurs européennes que l’Union est appelée à défendre, figurent nos valeurs sociales et notre modèle de développement. Mais par dessus tout, il y a la paix.

***

Bien que notre histoire soit encore jeune, nous avons parcouru un long chemin depuis 1950. Et on ne peut envisager le futur de l’Europe unie sans évoquer son passé.

L’idée de départ, l’étincelle qui a donné vie à notre processus d’intégration, fut la conquête de la paix. Cela, nous ne devrons jamais l’oublier.

Sur plus d’un demi-siècle, les pays qui ont embrassé notre projet ont bénéficié de la garantie d’une longue ère de paix et d’harmonie.

Aujourd’hui, un conflit à l’intérieur de notre Europe serait inimaginable. Et, qui plus est, la force de notre exemple a communiqué cette vocation à la paix au reste du continent, aux régions limitrophes, voire au monde entier.

Cela aussi faisait partie de nos objectifs initiaux. En effet, le célèbre discours prononcé par Robert Schuman le 9 mai 1950 s’ouvrait sur ces mots: «La paix mondiale…».

54 ans plus tard, je reprends cette phrase à mon compte: l’Europe a pour objectif la paix mondiale.

Aujourd’hui, nous devons défendre notre principe fondateur de dangers provenant d’horizons multiples. Une fois encore, l’Europe est appelée à défendre la paix par ses «efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent».

La créativité dont parle Schuman, cette grande qualité de la politique, s’exprime par les armes que les pères fondateurs de l’Europe ont choisi pour faire la guerre à la guerre.

Ils avaient touché du doigt, dans des circonstances tragiques, les limites de l’ancien système de relations internationales, fondé sur la force militaire, sur le protectionnisme commercial et sur la politique des chancelleries.

Ils ont donc pris le chemin opposé, soit la fusion des marchés des matières premières servant aux guerres d’alors: le charbon et l’acier.

Aujourd’hui, nous devons retrouver ce génie, cette sagesse et cette créativité.

Le monde a énormément changé depuis cette époque. De nos jours, les matières premières des guerres et de la lutte armée sont autres, comme le sont les motivations de fond qui poussent des individus et des populations entières à l’action violente.

C’est pourquoi nous avons choisi de compléter la politique de l’élargissement par une série de développements ultérieurs.

Le premier consistera à mener à son terme le processus d’adhésion des autres pays candidats.

Le second consistera à ouvrir l’Union européenne à tous les pays des Balkans.

Tout cela se fera progressivement et chaque pays avancera à son rythme.

La Croatie a déjà commencé, la Macédoine lui emboîte le pas et les autres pays suivront, à mesure qu’ils réformeront leurs structures économiques et politiques.

Et cet objectif est l’unique solution stable et durable, la seule perspective d’espoir pour tous ces pays.

Répétons-le une fois encore: seule l’Europe pourra clore un douloureux chapitre de notre histoire et en ouvrir un nouveau, fait d’amitié et de paix.

Aujourd’hui, la politique de l’élargissement achève son cycle, du moins pour l’ère actuelle.

Mais sa mission de paix se poursuit en offrant à tous les pays voisins, de la Russie au Maroc en passant par les pays du sud du Caucase, la perspective de partager leur avenir avec l’Union, sauf les institutions – c’est-à-dire une perspective de très forte intégration économique et politique.

Il s’agit donc d’une Europe pluraliste et respectueuse des diversités et des minorités, qui offre sa sécurité «non militaire» (soft security) et le partage de ses priorités au cercle de pays amis qui l’entourent.

Mesdames et Messieurs,

La mission initiale des Semaines Sociales a été de diffuser la pensée sociale de l’église en rapport avec les problèmes et les dynamiques du présent.

Ce n’est pas un hasard si votre organisation est née quelques années après l’encyclique Rerum Novarum – qui dénonçait le caractère inhumain de la condition ouvrière à la fin du XIXe siècle – et dans la foulée de celle-ci.

Je suis heureux de noter qu’un siècle plus tard, vous avez mis l’Europe au centre du débat sur l’engagement social des chrétiens et le rôle qu’elle saura garder dans un monde «global».

Parmi les différents thèmes proposés, je veux mettre l’accent sur le développement durable, sur la pauvreté et sur l’ouverture de l’Europe au monde.

Notre histoire récente montre que la stratégie gagnante pour faire face à ces trois grands défis passe par la solidarité, la coopération et la recherche d’un règlement politique des conflits.

Dans le monde entier, l’Europe doit contribuer à garantir à tout être humain et à toute population quelques droits simples: le droit de se nourrir, de vivre sous un toit, d’être en bonne santé et de vivre en sécurité.

Mais surtout nous devons recourir à notre force et à notre tradition pour garantir aux citoyens du monde la dignité et l’espoir.

Lire la suite..

Les plus récents

Voir plus