La tribune : Indice de Position social, un outil contestable et critiquable
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Dossier Rencontres anuelles
Le sondage ISL réalisé en septembre 1999, par les Semaines Sociales en partenariat avec La Vie et La Croix, corrobore l’observation courante : les Français sont inquiets, plutôt pessimistes sur l’évolution de la société ; ils estiment que le respect de la personne humaine est en danger, tant à cause d’une économie mondialisée qui « broie l’homme », que d’un progrès scientifique qui les fascine autant qu’il attise leurs craintes. Le monde leur paraît dériver, sans pilote, marqué par des inégalités renforcées, menacé par des risques et des violences d’un type nouveau. Ils constatent une perte généralisée du lien social et une tendance aux replis identitaires destructeurs de solidarité.
Ces sentiments et ces craintes, répandus bien au-delà de nos frontières, les chrétiens les partagent, comme tout un chacun. Mais leur foi leur interdit d’emprunter les chemins stériles de la désespérance et la voie paresseuse des imprécations qui tiennent lieu d’analyse. A l’entrée dans le nouveau siècle, leur approche des grands enjeux de société s’articule autour des quatre préconisations suivantes :
• Pour humaniser la mondialisation, ce n’est pas moins, mais mieux d’économie de marché qu’il faut.
• Gouverner les forces de la mondialisation, suppose que l’on réforme les institutions internationales existantes pour les mettre au diapason des enjeux et des hommes du 21ème siècle.
• C’est l’éducation, et en particulier celle de l’éthique de responsabilité, qui peut permettre que la personne humaine soit au cœur de la révolution scientifique et technologique actuelle.
• C’est par la reconnaissance des différences entre les personnes et les cultures que l’on peut reconstruire les solidarités, et inventer le lien social de la société mondialisée.
Mettre l’homme au cœur de l’économie de marché
Le XXIème siècle s’ouvre sur le triomphe généralisé du marché. L’espace ouvert aux échanges commerciaux s’est élargi à de nouveaux pays et continents (Amérique latine, ex-bloc communiste, Asie de l’Est, Afrique, mais dans une moindre mesure pour cette dernière). La concurrence étendue à l’échelle du monde devient la loi universelle des entreprises. L’argent circule librement et recherche les arbitrages les plus rentables, donnant ainsi au mouvement actuel de la mondialisation, une coloration largement financière. La révolution des technologies de l’information et des télécommunications a fait de la planète un village.
Cette évolution ne devrait-elle pas être saluée comme une étape, d’une importance considérable, sur la longue marche de l’humanité vers la réalisation de son unité ? Pourtant, tel n’est pas le sentiment qui prévaut généralement, tant en France, qu’en Europe et dans le monde. Que reproche-t-on à la mondialisation ? Elle aggrave les inégalités au sein des sociétés développées, ainsi qu’entre nations riches et pauvres : 20% de la population de la planète concentre entre ses mains 80% du PIB mondial. Elle ignore les besoins des pays du Sud. Elle fait du profit la norme unique et absolue de toutes les activités humaines (au mépris, en particulier, du respect de l’environnement). Sous son empire, l’obsession du court terme tend à l’emporter, dans les décisions, sur les stratégies de développement durable. Elle étend le rôle du marché et de la concurrence à tous les domaines, y compris à ceux de l’éducation, de la culture et de la santé, mettant à mal les politiques de développement des services publics, ainsi que les péréquations entre nations, régions et groupes sociaux. Beaucoup voient dans la mondialisation la cause principale, voire unique, du chômage et de la précarité du travail dans les pays développés.
Les voix qui s’élèvent ainsi recèlent une part de vérité. Mais, par son simplisme même, cette vision est dangereuse et ne mène nulle part. Elle ouvre la voie aux replis protectionnistes et nationalistes : l’échec de la conférence de l’OMC à Seattle, en décembre 1999, pénalise d’abord les pays du Sud désireux d’exporter davantage vers les pays développés. Elle repose, en outre, sur une analyse insuffisante et souvent incorrecte de la place de l’économie et du rôle du politique vis-à-vis de cette dernière. Ainsi, plutôt que de dénoncer l’empire excessif qu’exercerait l’économie sur la politique, reconnaissons que nous souffrons plutôt du défaut contraire : le non-respect des règles d’une saine économie de marché, l’interférence néfaste du politique, et son absence là où son intervention serait déterminante pour réguler l’économie.
L’économie de marché comporte des valeurs morales qui lui sont propres, et que les chrétiens doivent reconnaître et encourager : le stimulant de la concurrence, le respect du droit, le combat contre la corruption, l’exigence de qualité, et même le critère du profit (dont l’entreprise a besoin comme toute personne humaine recherche la santé). Accepter l’économie de marché ne signifie pas renoncer au politique. Car si le marché possède des vertus d’efficacité, il n’a pas de projet par lui-même, et ne fabrique pas de la civilisation. Quand elle existe et qu’elle s’exerce conformément à sa vocation, la volonté politique prévaut toujours sur celle des grandes entreprises ou celle des marchés.
La mondialisation pose un problème inédit au politique : pour que le monde soit plus vivable, il s’agit de rendre l’économie plus viable. Comment ?
Sur des marchés mondialisés, toute crise (comme nous l’avons vécu au cours des dix dernières années : crise des pays asiatiques, Japon, Russie), peut s’étendre à l’ensemble du monde. Chaque pays, grand ou petit, est donc responsable, pour le meilleur et pour le pire, de la stabilité et de la qualité de la croissance du monde. Face à cette situation, et pour que l’homme soit au cœur du fonctionnement de l’économie, il importe de construire un système financier mondial qui remédie aux défauts du système actuel, et de le faire appliquer par tous les Etats. Ce système devrait s’articuler autour des grands axes suivants : la transparence, l’information la plus complète, des institutions solides et stables garantissant la sécurité des biens, l’épanouissement possible des personnes et la responsabilisation des acteurs privés (entreprises et syndicats), des normes universelles de bonne conduite soumettant à une indispensable discipline les marchés financiers internationaux. En particulier, le monde ne peut plus tolérer les « trous noirs » que constituent les paradis fiscaux et les centres « off-shore ».
Pour progresser, il faut s’appuyer sur l’accord qui semble s’opérer aujourd’hui, sur ces axes de réforme, au sein des instances internationales, plutôt que de chercher à préconiser l’application de règles obligatoires ou de taxes à l’échelle mondiale, sur lesquelles il n’existe pas, actuellement, de consensus international. A condition de ne pas se tromper de combat ni de méthodes, l’opinion publique mondiale qui naît, peut faire avancer les choses dans la bonne direction : ainsi, 20% des gérants de portefeuilles financiers assurent désormais faire entrer des considérations de respect de l’environnement dans leurs choix d’investissements. Un indice boursier d’entreprises pionnières pour le développement durable (qui respecte la planète) vient d’être composé par Dow Jones, l’organisme financier de Wall Street ; certains consommateurs commencent à boycotter les entreprises qui exploitent leur personnel, commercialisent des produits incertains (OGM), ou polluent…
Réformer les institutions internationales
Alors que la mondialisation s’est opérée jusqu’ici en dehors de toute conscience mondiale, au gré de dynamismes financiers ou technologiques autonomes, il est temps maintenant que le monde soit lui-même le sujet de sa propre mondialisation. Prévenir les crises et stabiliser les marchés sont une des sauvegardes que l’on doit d’abord aux plus vulnérables de nos sociétés. Alors que nous entrons dans le nouveau millénaire avec six milliards d’humains, plus d’ 1,3 milliard vivent avec moins d’un dollar par jour ; plus d’ 1,4 milliard n’ont pas d’accès direct à l’eau potable ; 900 millions sont analphabètes, et 800 millions souffrent de la faim ou de la malnutrition. La mondialisation peut être une chance de réduire les inégalités et d’accélérer la sortie de la pauvreté. Mais comment avancer dans cette direction, alors que le sentiment prévaut parmi les peuples que, face à des problèmes de dimension de plus en plus universelle (le risque écologique, les commerces illégaux, la drogue, la corruption, le crime et la menace terroriste organisés à l’échelle planétaire, le blanchiment de l’argent sale, etc.), il existe une crise mondiale de gouvernance. Les institutions internationales, dont le rôle est justement de canaliser ce que le progrès économique et les changements peuvent comporter de conséquences excessives ou néfastes, ne sont pas à la hauteur de leur mission.
L’O.N.U comptait 50 Etats en 1945, 188 aujourd’hui. Inégal économiquement, ce monde devient de plus en plus inégal sur le plan politique. Seules, l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord présentent, aujourd’hui, le visage de la paix. Tandis que les pays du Nord s’efforcent de dépasser le cadre des souverainetés historiques pour recomposer une communauté mieux adaptée à l’âge de la mondialisation (comme en témoigne l’Europe), les pays du Sud tendent à se décomposer, multipliant entre eux les conflits, et s’avérant souvent incapables de faire face, en leur sein, aux violences et aux guerres intra-étatiques (Afrique, Russie, ex-Yougoslavie). C’est ainsi qu’a émergé le droit d’ingérence. Dans la société internationale naissante, ce droit, accompagné par la création de juridictions pénales internationales, apparaît comme un progrès. Mais sa mise en œuvre remet en cause les fondements de l’ordre international existant. Il est nécessaire de le légitimer, et de hiérarchiser sa place par rapport au droit de la souveraineté, afin d’éviter l’arbitraire éthique : on intervient au Kurdistan irakien, mais pas au Rwanda, au Kosovo, mais pas en Tchétchénie, ni au Tibet…. Une telle fondation universellement acceptée, du droit d’ingérence, constitue le grand défi pour ceux qui ne se résignent pas aux équivoques actuelles sur les droits de l’homme. Ces derniers sont perçus, dans le monde, au travers de prismes culturels différents. Les grands pays du monde ont une responsabilité particulière pour ne pas s’exposer au soupçon d’utiliser les droits de l’homme au service de leurs intérêts : ils doivent éviter d’alimenter, par leur comportement, le reproche légitime d’arrogance, et de mépris.
Une des premières réformes à accomplir est donc d’adapter et de réformer les institutions internationales existantes, en les dotant d’une responsabilité politique accrue, et en permettant une participation effective de chaque pays à la gestion de la « Cité globale ». L’élargissement récent, en vue d’une meilleure concertation économique, du G 7 en G 20 (représentant 66% de la population et plus de 85% du PIB du monde), constitue une avancée vers un fonctionnement plus démocratique des institutions internationales. Le Comité intérimaire du FMI – actuellement consultatif – doit être transformé en instance décisionnelle pour toutes les grandes orientations stratégiques de l ‘économie mondiale. Toutes les institutions, et en particulier l’OMC, dont la récente conférence de Seattle a montré l’inadaptation au nouvel environnement du monde, sont à revoir dans cet esprit.
Le Conseil de sécurité de l’ONU, clef de voûte politique de la sécurité mondiale, doit être réformé et élargi. Il s’agit là d’une condition clé d’un meilleur fonctionnement : il n’est pas admissible que le gouvernement du monde soit contrôlé par cinq grandes puissances et que le droit de veto paralyse les décisions d’intervention dans les conflits locaux.
C’est aux gouvernements qu’il incombe de faire aboutir ces réformes, mais il existe, désormais, de nouveaux acteurs dont le poids et l’influence sont croissants : les ONG, les médias, les réseaux informels autonomes et souvent alimentés par les Eglises (Sant’ Egidio, ACAT, Amnesty International…). Ces acteurs ont un rôle à jouer pour fonder en légitimité tout recours à la force, pour prévenir les conflits, ainsi que pour tenter des médiations, imposer le multilatéralisme et des institutions internationales plus équilibrées. De nombreuses voies d’action sont ouvertes et chacun peut y jouer un rôle individuel, collectif, professionnel. Ainsi, sept engagements, à tenir avant 2.005 ou 2.015, ont été solennellement signés par les Etats dans de grandes conférences internationales, de Rio à Copenhague, en passant par Pékin ou Le Caire. Ils visent notamment à réduire l’extrême pauvreté, l’analphabétisme, l’inégalité des sexes dans l’éducation, la mortalité infantile, et à promouvoir un développement durable… Menons campagne pour que ces engagements, pris en notre nom, soient tenus. Dans le prolongement du sommet de Cologne, poursuivons la mise en œuvre des opérations de réduction de la dette des pays les plus pauvres. Veillons à ce que les ressources libérées soient utilisées pour des dépenses d’investissement supplémentaires (éducation, santé, infrastructures rurales, etc.). Suivons et encourageons la nouvelle stratégie conjointe du FMI et de la Banque mondiale qui vise, précisément, à placer le combat contre la pauvreté au cœur de leurs stratégies communes dans les 75 pays les plus pauvres. Il s’agit d’encourager, au sein de ces derniers, des réformes hardies, portant notamment, sur les institutions publiques (Cf. la notion de « bonne gouvernance » en jeu dans le renouvellement de l’accord de Lomé). De notre côté, acceptons d’ouvrir plus largement nos frontières commerciales aux produits du Sud, et menons campagne pour restreindre le commerce des armes en direction de ces pays.
Pour faire avancer un nouvel ordre du monde, c’est d’un sursaut de responsabilité et de solidarité dont nous avons besoin, ainsi que d’un énorme effort d’éducation civique, de déchiffrage de ce nouveau monde et d’explication des choix qu’imposent des politiques de responsabilité et de solidarité. Quelle tâche immense pour ces hommes politiques que l’on prétend évincés par « la dictature des marchés » ! Jamais l’importance et la noblesse du politique n’aura été aussi grande. Jamais, non plus, le rôle des responsables économiques, syndicaux, associatifs, n’aura été aussi indispensable.
C’est d’une nouvelle anthropologie pour l’homme de la mondialisation qu’il s’agit. Les chrétiens, qui partagent ce projet avec beaucoup, doivent s’y engager complètement. C’est sur lui qu’est attendu leur apport, et espéré leur message.
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