Lettre du Secrétaire d’État de Sa sainteté lu au cours de la session 2002 des Semaines Sociales de France, « La violence, Comment vivre ensemble ? »
À Monsieur Michel CAMDESSUS, Président des Semaines sociales de France
Monsieur le Président,
1. Pour la session des Semaines sociales de France, qui se réunit à Paris du 15 au 17 novembre, un thème important a été choisi : «La Violence, comment vivre ensemble ?». Appréciant les recherches, qui veulent se situer dans la ligne de l’enseignement moral de l’Église, le Pape encourage les participants à unir leurs efforts pour préparer des chemins nouveaux, demandant pour eux l’aide de l’Esprit Saint. Il souhaite que des pistes de réflexion soient proposées et que des invitations à édifier une humanité renouvelée puissent être lancées aux hommes de notre temps.
Les événements récents et les conflits qui demeurent sur l’ensemble de la planète sont le signe d’une humanité fragile aux prises avec une violence multiforme. Il est particulièrement important d’analyser clairement les causes de la violence qui menace nos sociétés, pour mieux la combattre et pour adopter des comportements nouveaux, afin de promouvoir et de construire une paix authentique. Comment oublier les populations du Moyen-Orient, où le conflit s’enlise de plus en plus ? Comment ne pas évoquer les conflits en Afrique, où des frères ne cessent de s’opposer, hypothéquant pour longtemps la croissance des sociétés locales et l’utilisation des biens au bénéfice de tous ?
2. Le message biblique nous appelle sans cesse à déraciner la violence qui est en nous, à nous ouvrir à Dieu, qui, en son Fils, est venu réconcilier le monde avec Lui et inviter tous les hommes au pardon. Tout homme doit être considéré comme un frère à aimer, parce que nous sommes enfants de Dieu et que nous appartenons tous à la même humanité; les différences sont à considérer avant tout comme des richesses à partager et à utiliser pour le bonheur de tous. La paix entre les personnes et entre les peuples est aujourd’hui plus que jamais une priorité pour l’ensemble des nations. Nul ne peut considérer que les situations de violence sont une fatalité contre laquelle il n’y a rien à faire. C’est au contraire par un engagement résolu que le défi pourra être relevé et qu’adviendra la tranquillitas ordinis (S. Augustin, La cité de Dieu, 19, 13), qui est le fruit de la justice, de l’équité et de l’amour fraternel. Établir cette paix juste et durable est de la responsabilité de chacun.
3. Tout d’abord, une attention particulière doit être portée à la famille et à l’école, car une véritable éducation à la paix commence dès le plus jeune âge. Dans ces lieux éducatifs primordiaux, il importe que les parents, les enseignants et les éducateurs soutiennent chez les jeunes le désir de paix, indispensable pour leur croissance et leur maturation. Les fractures du milieu familial ont des conséquences néfastes sur les enfants. La démission éducative des adultes laisse les jeunes à eux-mêmes et ouvre la voie à toutes sortes de comportements. Les médias, qui véhiculent des images violentes et agressives, engendrent chez les jeunes une spirale de la violence, laissant parfois penser qu’elle est une forme de conduite normale et que chacun ne peut exister qu’en écrasant l’autre. On a aussi noté les phénomènes de groupe dans les banlieues, où la pauvreté, la misère, les difficultés affectives, l’absence d’insertion sociale, conduisent à une recrudescence de la violence sous toutes ses formes.
4. Il revient aussi aux responsables de la société civile, aux gouvernants et à la communauté internationale dans son ensemble de s’engager à lutter contre la violence. La paupérisation et la marginalisation d’une partie des personnes et des familles entraînent inévitablement une recrudescence de la violence et l’apparition de nouvelles formes de violence de la part de ceux qui sont mis à l’écart et laissés pour compte des sociétés d’abondance qui sont à leur porte. Il convient donc de tout faire pour vaincre la pauvreté et pour mettre en place des structures d’éducation et de promotion des personnes ainsi que des réseaux de relation de proximité et de sécurité, afin de garantir la paix et la liberté des individus. Dans cet esprit, l’Organisation des Nations unies a un rôle particulier à jouer sur la planète, pour que tout soit fait en vue d’un règlement pacifique des conflits et qu’aucun pays ne tente de faire prévaloir sa façon de voir et de parvenir à ses fins propres. Entre les nations, une place essentielle doit être accordée au dialogue international, qui suppose une approche multilatérale des situations et le désir de solutions négociées. L’Église invite les responsables des nations et les hommes de bonne volonté à s’engager inlassablement en faveur de la cause de la paix, qui doit être une priorité. Elle les encourage à promouvoir des lieux privilégiés de dialogue et de collaboration, sachant que même le plus petit geste, la plus petite action en ce sens portera des fruits.
5. Pour que l’avenir puisse être envisagé avec une confiance sereine, il est primordial que s’instaure une véritable culture des droits humains. Toute atteinte à la vie est un acte de violence. Et la spirale de la violence commence lorsque l’on ne reconnaît plus la valeur d’un être humain dans toutes les étapes de son existence et que l’on bafoue la dignité des pauvres, des petits, des handicapés. La culture des droits humains implique de rejeter toutes les formes de violence qui défigurent et détruisent la vie : la pauvreté, la faim et la misère, qui, en s’attaquant à la dignité humaine, sont des menaces réelles pour la paix. Cela exige aussi de rejeter la violence de la pornographie, de la prostitution et de toute exploitation du corps humain, comme de tout ce qui contribue à la destruction de la personne, à travers la diffusion criminelle des drogues et le trafic des armes. Qu’il soit permis de rappeler ici la grave responsabilité de ceux qui sont en charge des affaires publiques et dont le devoir est de protéger ce droit par des garanties juridiques et politiques appropriées.
6. Pour parvenir à une paix véritable, il convient aussi d’éduquer nos contemporains à l’amour de tous, même de ceux qui nous ont fait du tort, en allant jusqu’au pardon, qui seul peut briser la spirale de la violence. Il s’agit parfois d’une attitude héroïque, qui est en même temps un appel à ce que s’opèrent des changements en l’autre. Le Christ nous a montré que seul le pardon ouvre la voie à la fraternité et au respect de tout homme. Dans cet esprit, il revient aux responsables et aux membres des différentes religions de s’engager de manière toute particulière en faveur de la paix et de l’entente entre les peuples. L’intensification du dialogue interreligieux fait partie intégrante de la contribution à la paix que les religions peuvent apporter à l’humanité. Nous avons encore devant les yeux l’expérience de la Journée mondiale de Prière pour la Paix à Assise, au début de l’année, qui était un clair engagement des participants à rechercher la paix. Car le sentiment religieux authentique est une source inépuisable de respect et d’harmonie entre les peuples, «en lui réside le principal antidote contre la violence et les conflits» (Jean-Paul II, Message pour la célébration de la Journée mondiale de la Paix 2002, n. 14).
7. Au cours du vingt et unième siècle, nous devons être particulièrement vigilants sur ce qui peut raviver les tensions et les antagonismes. En effet, la primauté de l’économie sur le politique, le phénomène de la corruption à tous les échelons de la société, la course effrénée aux biens matériels, le développement de l’armement, l’extension des réseaux de drogue, le commerce humain sous toutes ses formes, tels sont quelques-uns des dangers qui ne peuvent que faire ressurgir ou accroître la violence.
L’Église a cependant conscience que des voies nouvelles sont possibles. Elle se réjouit que des rencontres comme les vôtres s’attachent à développer une réflexion qui rendra nos contemporains plus attentifs et qui pourra fournir des solutions de substitution aux situations présentes. Il convient ici de saluer la tradition française de générosité et de solidarité, qui se manifeste à travers la présence active de nombreuses associations et mouvements qui, grâce aux multiples compétences et bonnes volontés, luttent contre la violence en s’attaquant aux racines de la pauvreté, de l’injustice et de la misère. On ne peut oublier l’exemple donné par saint Vincent de Paul, par le bienheureux Frédéric Ozanam, la bienheureuse Jeanne Jugan et par de nombreuses autres personnes.
8. Puissent les travaux des Semaines sociales faire prendre conscience à nos contemporains du chemin qu’il leur faut parcourir, des valeurs et des comportements nouveaux à promouvoir pour que triomphent la paix et la justice ! Invoquant le Christ, Prince de la paix, afin que grandisse dans le monde une civilisation respectueuse de la dignité de l’homme, le Pape accorde de grand cœur aux organisateurs et aux participants des Semaines sociales de France la Bénédiction apostolique.
En vous écrivant au nom du Saint-Père, je vous assure, Monsieur le Président, de ma prière pour l’heureux déroulement de vos journées et de mes sentiments cordiaux et dévoués.
Du Vatican, le 7 novembre 2002.
Secrétaire d’État de Sa Sainteté