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Le temps est trop bref ce matin pour que je vous parle beaucoup du FMI. Il est peut-être plus utile de vous dire quelles sont, à mes yeux de « praticien des crises » ou de pompier de tant d’incendies, les leçons que je suggérerais de tirer de ces dix années de convulsions pour essayer de faire mieux pendant les quinze suivantes.
L’interrogation est toujours la même pour une conscience d’homme et de chrétien : comment rendre l’économie mondiale plus viable et le monde plus vivable ? En d’autres termes : comment humaniser la mondialisation ? Pour y répondre, essayons d’identifier les crises qui se cachent derrière cette succession d’ébranlements de l’économie mondiale, depuis la première crise de la mondialisation à Noël 1994 au Mexique. Je me contenterai de citer quatre facteurs majeurs d’instabilité, chacun appelant évidemment des changements de grande portée :
– des crises économiques nationales d’un type nouveau,
– une crise du système financier mondial,
– la pauvreté, comme crise systémique fondamentale,
– une crise, enfin, de gouvernante mondiale.
Examinons quelques instants chacun d’eux. Je le ferai moi-même avec une pensée reconnaissante pour le P Philippe Laurent qui, il y a deux années, m’avait suggéré une réflexion sur ces thèmes.
1. Des crises économiques d’un type nouveau
Les crises économiques ? Le FMI pensait bien les connaître. Il avait même été créé pour y répondre et pour éviter qu’elles ne tournent, comme en 1929, à la catastrophe mondiale et à la guerre. Pendant les quarante premières années de son existence, disons jusqu’au milieu des années quatre-vingt, cet organisme a surtout eu à faire face à des crises des paiements extérieures, engendrées souvent par les défaillances des politiques macroéconomiques, souvent aggravées par un endettement intenable.
On l’a vu avec la crise du Mexique, mais beaucoup plus nettement avec celle des places asiatiques : les crises ne sont plus ce qu’elles étaient. Elles éclatent sur des marchés de capitaux ouverts. Elles trouvent leurs origines dans des facteurs complexes de dysfonctionnement. Elles sont beaucoup moins exclusivement macroéconomiques. Elles prennent rapidement des proportions systémiques et ne peuvent être enrayées que par la mobilisation immédiate de financements massifs.
Prenons les trois grandes crises asiatiques : Thaïlande, Indonésie, Corée. Pour y faire face, il a fallu s’attaquer à un problème tridimensionnel. Une dimension, certes, de déséquilibres macroéconomiques accompagnés de graves sorties de capitaux à court terme. Une crise aiguë du secteur financier, reflétant les faiblesses des institutions et des pratiques bancaires. Une crise, enfin, plus fondamentale d’un modèle de gestion économique auquel les succès antérieurs avaient été complaisamment attribués, mais qui était tout simplement en contradiction avec les exigences nouvelles d’une économie mondialisée. Je pense ici à un système de relations malsaines – il m’est arrivé de dire « incestueuses » – entre les entreprises, les banques et l’État. Cette troisième dimension, que les étudiants de Djakarta conspuaient en dénonçant la corruption, la collusion et le népotisme, impliquait des réformes fondamentales et immédiates. Il ne pouvait être question pour le FMI d’ouvrir des concours financiers de grande ampleur sans mettre en place un ensemble de mesures ou de règles dont on puisse attendre plus de transparence, une plus grande qualité de la gestion et des dispositions contre la. corruption. Ces réformes sont en cours : certaines ont d’ores et déjà produit les effets positifs attendus ; d’autres, qui s’attaquent à des problèmes profondément ancrés, prendront davantage de temps à manifester leurs effets. Elles sont néanmoins appliquées avec persévérance.
Le temps me manque pour pousser plus loin l’analyse, mais il est facile de voir que ces composantes multiformes des crises économiques nationales d’aujourd’hui se retrouvent, mutatis mutandis, dans bien d’autres cas : au Japon, dont l’abondance des réserves a évité une crise plus ouverte mais non moins profonde ; en Russie, évidemment, et dans des proportions redoutables ; et nous savons bien, à travers nos analyses annuelles de chacun de nos 182 pays membres, que ces symptômes se retrouvent, à des degrés divers, à peu près partout.
Quelles leçons pouvons-nous donc tirer de ce nouveau type de crises ? Tout d’abord celle-ci : que le pays soit grand ou petit, du fait des phénomènes de contagion sur des marchés mondialisés, toute crise peut devenir systémique. Toute politique économique nationale doit donc plus que jamais tenir compte de ses effets potentiels mondiaux : un devoir de responsabilité universelle s’impose dès lors à tous. Chaque pays, grand ou petit, est responsable de la stabilité et de la qualité de la croissance du monde. Cela ajoute une dimension nouvelle au devoir d’excellence qui s’impose à tout gouvernement dans la gestion des économies. Je dis « excellence », je pourrais tout aussi bien dire « absolue rectitude ».
La mondialisation est, en fait, un prodigieux facteur d’accélération et d’amplification des effets internationaux des politiques domestiques, pour le meilleur ou pour le pire.. cela, nul pays n’échappe et tous le savent. Il y a accord, au conseil d’administration du Fonds monétaire international, où le inonde entier est représenté, pour que, dans le dialogue exigeant que nous entretenons avec chacun de nos pays membres, du plus grand au plus petit, l’accent soit mis, dans ce contexte de mondialisation, sur trois points :
– la rigueur et la transparence dans la gestion économique d’ensemble,
– une croissance axée sur le développement humain,
– la réforme de l’État et tout ce que cela implique de recherche d’efficacité du secteur public, de régulation appropriée, de renforcement de l’État de droit, d’indépendance de la justice, de lutte contre la corruption, etc.
Pour une organisation financière internationale, suggérer de tels efforts ne vise pas tellement à rechercher à tout prix des équilibres comptables, mais à amener les pays à découvrir et à tirer toutes les conséquences de cette relation circulaire entre intégrité des gestions monétaires et financières, croissance de haute qualité et réduction de la pauvreté. Sans perspectives crédibles de réduction de la pauvreté, les politiques d’intégrité monétaire et financière ont peu de chance de prévaloir durablement, alors que, sans une telle intégrité des gestions financières, toute tentative de réduire la misère fait long feu. En tirer toutes les conséquences, c’est aller par une souplesse accrue d’adaptation, à ce supplément de croissance, et surtout à cet enrichissement humain de la croissance qui permettra, en fin de compte, que chaque pays puisse jouer un rôle positif accru dans l’économie mondiale. Une valeur trouve ici une pertinence particulière : le sens de la responsabilité de chacun pour le progrès de tous.
Les crises ont donc changé, mais leurs composantes nationales n’expliquent pas tout. Les pays n’ont pas été seulement acteurs de crises ; ils ont été victimes : ce sont les dérèglements de tout un système qui sont également mis à jour : il faut donc analyser, pour les corriger, les faiblesses du système financier mondial. En aidant au redémarrage de ces économies, nous avons été dans une logique de construction. Ici, nous entrons dans une logique plus prometteuse de prévention. Le pompier devrait laisser la place à l’architecte.
2. Discerner et corriger les faiblesses du système financier mondial
Une réflexion universelle s’est engagée avec pour vaste ambition de dessiner une nouvelle architecture financière. Les vices de construction sont bien identifiés. En voici sept, pour faire parfaitement biblique :
1. L’insuffisance de l’information financière et le manque de respect des règles de transparence qui mine la crédibilité des politiques économiques, la stabilité des marchés et évidemment l’efficacité de la surveillance que le FMI est chargé d’exercer; ceci explique, pèle-mêle, le syndrome du « déni » par lequel les gouvernements se mentent à eux-mêmes, et les réactions grégaires d’engouement et de repli qui font partie du système financier mondial.
2. Les faiblesses des institutions et des systèmes bancaires et financiers.
3. L’ouverture mal conduite des marchés des capitaux qui a facilité la circulation de capitaux à court terme potentiellement instables, alors que les investissements directs étaient assujettis à des restrictions légales ou à des tracasseries administratives – l’inverse, en fait, de ce qui aurait dû se produire !
4. L’hésitation à définir les modalités d’une participation du secteur privé, pourtant responsable d’une part croissante des financements mondiaux, à la prévention et à la solution des crises.
5. Le retard à soumettre à l’indispensable discipline, des marchés financiers internationaux laissés dans l’état d’anarchie où se trouvaient les marchés domestiques des pays industriels il y a un siècle, alors même que les formes de plus en plus sophistiquées d’intermédiation financière à l’échelle mondiale se sont rapidement développées.
6. Un système global qui laisse persister l’extrême pauvreté et des inégalités croissantes. J’y reviendrai.
7. Un système dont on se demande s’il a un pilote c’est le problème de la « gouvernance »
mondiale.
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