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Je soupçonne un brin de provocation chez les organisateurs de cette Semaine dans le choix de son titre. Car comment parler de la famille comme d’une idée neuve, alors que c’est incontestablement le fait social le plus ancien de l’histoire de l’humanité? S’il y a en effet une certitude, c’est bien celle-là aussi loin qu’on remonte dans le temps, on la rencontre. La famille est antérieure à la division du travail, à la constitution des groupes sociaux, à la naissance même de la société, à plus forte raison à la formation de l’État. La famille est chronologiquement le phénomène premier. Cette antériorité justifie qu’on en parle comme de la cellule initiale, ou de l’unité de base. De cette priorité des théoriciens de l’institution familiale, et aussi des philosophes politiques ont pris argument pour affirmer sa primauté et la proposer en modèle de toute organisation sociale.
Certains soutiennent même que la famille a été la matrice de toutes les autres collectivités. C’est elle qui aurait engendré les sociétés et qui continuerait indirectement à régir les conduites, si l’on en croit Emmanuel Todd qui voit dans les formes adoptées par la famille la variable explicative, plus décisive que tout autre principe d’analyse, y compris la lutte deS classes. En dériveraient les modes actuels d’organisation des sociétés et jusqu’aux systèmes de pensée et aux idéologies. Il pense pouvoir, par exemple, rendre compte de la diversité des températures politiques par les différences entre les types d’organisation familiale. Car il distingue plusieurs types. Retenons au passage ce constat d’une diversité des structures familiales. La famille n’est pas une réalité uniforme à travers l’espace, ni immuable dans le temps. Parler de la famille au singulier comme s’il y en avait un modèle unique et exclusif, c’est construire un être de raison : c’est au pluriel qu’il convient d’en traiter. L’histoire a introduit la diversité et le changement dans l’organisation familiale : nous aurons l’occasion de revenir sur cette relation entre famille et histoire. Emmanuel Todd distingue ainsi sept types fondamentaux, sans compter le type africain, et il pense discerner des corrélations entre ces types et les autres faits sociaux. La famille serait ainsi la clé de toute l’histoire des sociétés, le déterminant principal de leur configuration.
C’est le fait le plus ancien parce que c’est un donné naturel, antérieur à l’histoire. Dans le partage des activités humaines entre nature et culture – distinction dont vous savez l’importance et qui sera comme le fil rouge de mon intervention -, la famille se range assurément du côté de la nature dès les origines, avant le commencement de l’histoire. Car l’humanité a été créée sexuée : le couple procède de la différence des sexes, de leur attirance réciproque, du désir de se reproduire et de perpétuer l’espèce. Tels sont les fondements biologiques de la famille. Tous les systèmes de pensée qui font de la conformité à la nature le principe et la référence majeurs conçoivent l’organisation de la société sur le modèle de la cellule familiale.
Si le fait familial trouve ainsi son origine dans le biologique, il a, dès la naissance des sociétés, été pris en compte et réglementé par elles, transformé en un fait social reconnu et organisé. Le passage de l’ordre de la nature conditionné par le biologique à un univers culturel où la liberté pourra trouver à se déployer est une ligne de force de toute l’histoire de la famille à travers les âges et une de ses significations : cette transmutation est capitale.
L’accouplement de deux existences était chose trop importante pour être laissée au caprice des humeurs individuelles: il y allait de la survie du groupe, de la perpétuation de l’espèce, de la transmission des biens, de la préservation des patrimoines. Ce fut le rôle du droit de faire de la famille une institution, de codifier son existence, de fixer les règles de sa constitution et de son fonctionnement. C’était le devoir de l’autorité politique de préserver la cohésion de la cellule familiale, de veiller sur la durée du mariage, de sanctionner les infractions, de faire respecter les normes.
Dans ce processus de transmutation et de sublimation des données naturelles, la famille a connu un troisième état, plus spirituel, où elle n’avait plus pour seule fonction de perpétuer l’espèce, de transmettre la vie et les biens matériels, mais aussi de transmettre des valeurs et d’éduquer les êtres. À ce stade, l’intervention de la religion a été décisive. Son rôle a été ambivalent, même celui du christianisme. La religion a prêté main-forte à l’ordre social en sacralisant ses règles. A cet égard, l’enseignement traditionnel du magistère, en énonçant la procréation comme une fin première du mariage, légitimait le droit et la détermination par la nature. Mais aussi le christianisme consacrait, au sens fort du terme, l’union de deux personnes: la sainteté du mariage n’était pas seulement celle des contrats ; l’analogie entre l’union des époux et la relation entre le Christ et l’Église lui conférait une signification mystique. En identifiant le sacrement au consentement libre de deux personnes, elle postulait l’égalité entre l’homme et la femme qu’elle émancipait virtuellement. Elle entrouvrait une fenêtre pour une relation d’amour entre deux êtres. De la détermination par le biologique, on était passé à l’exercice de la liberté spirituelle.
Autre conséquence de cette évolution: de donné naturel, la famille devenait une création de l’histoire. En résultait une diversification des modèles familiaux, l’histoire étant par nature diversité. De ce fait, l’organisation familiale connaissait une certaine relativisation. À défaut d’être une idée neuve, elle était à tout le moins une idée évolutive. Dès lors nous devons traiter de la famille comme d’une réalité qui a une histoire.
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