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Dossier Rencontres anuelles
Aborder les violences contre les femmes lors des Semaines sociales consacrées à comprendre le phénomène de la violence en général est essentiel, voire fondamental. La violence exercée à l’égard des femmes est un fléau universel qui traverse et a traversé toutes nos sociétés, et dont l’ampleur et les conséquences sont encore aujourd’hui insuffisamment connues. Nelson Mandela, dans l’avant-propos du » Rapport mondial sur la violence et la santé » de l’Organisation Mondiale de la Santé, écrit que « le XXè siècle restera gravé dans les mémoires comme un siècle marqué par la violence. » Certes, celle-ci est omniprésente, elle envahit notre quotidien et elle est souvent considérée comme un aspect inéluctable de la condition humaine. Mais lorsque nos hommes politiques, comme c’est souvent le cas aujourd’hui, parlent de » tolérance zéro à la violence « , pensent-ils, ne serait-ce qu’un instant, aux violences quotidiennes que subissent des millions de femmes à travers le monde et aux conséquences et répercussions que ces violences ont sur l’ensemble de nos sociétés ?
Des femmes de tous les pays, de toutes les couches sociales, de tous âges, de toutes origines ethniques, de toutes religions, riches ou pauvres, insérées dans le tissu économique ou femmes au foyer, venues des cités ou des beaux quartiers, originaires d’Afrique, d’Europe, d’Asie, d’Amérique du Nord ou du Sud, de tout temps, ont connu, ou connaissent, les violences masculines exercées contre elles. Cette violence inacceptable, qui n’est pas une fatalité, n’épargne aucune femme. Dans sa vie, chacune peut, un jour, en être victime, l’histoire individuelle de chacun et de chacune n’étant pas une cause directe, mais pouvant constituer un facteur de risques aggravant, et conduire à croiser cette violence sur sa route.
La violence contre les femmes n’est pas un phénomène récent. Les coutumes, les religions, les Etats à travers leurs lois et pratiques judiciaires ont, au fil du temps et parfois encore aujourd’hui, instauré, voire légitimé son usage, jusqu’à l’utiliser parfois comme arme de guerre. Des tentatives de dénonciation de ces violences ont certes jalonné les siècles, mais il a fallu attendre la fin des années 1970 pour que les avancées acquises sous l’impulsion d’organisations non gouvernementales et de groupes féministes soucieux de droit des femmes permettent de rendre visibles les violences exercées contre celles-ci. Du reste, l’exposé des motifs qui accompagnent les dernières Recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, au sujet de la protection des femmes contre la violence, en date du 30 avril 2002, souligne que » la révélation progressive de ce phénomène et de son ampleur coïncide avec la reconnaissance du principe de l’égalité entre les femmes et les hommes »
Quelles sont ces violences qui concernent la moitié de l’humanité ? Selon la Déclaration des Nations Unies du 20 décembre 1993 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, » le terme «violence» à l’égard des femmes signifie tout acte de violence dirigé contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée « .
Comme l’indique ce texte, les manifestations de violence à l’égard des femmes peuvent être physiques, psychologiques, morales, sexuelles, économiques, structurelles ; elles peuvent s’exercer dans l’espace public ou la sphère privée, et généralement le ou les agresseurs utilisent une combinaison de formes de violence. Celles qui, aujourd’hui, sont le plus souvent citées sont le viol, le harcèlement moral et sexuel au travail, les violences conjugales, les mutilations génitales féminines, les mariages forcés, les viols dans un contexte de guerre, la traite des êtres humains, la prostitution, l’esclavage moderne, les conséquences d’intégrismes et fondamentalismes religieux, les meurtres d’honneur. L’emploi d’une ou de plusieurs de ces violences menace les droits fondamentaux des femmes, il porte atteinte à leur liberté, leur intégrité. Il traduit l’expression d’un rapport de force physique, psychologique, moral, individuel ou collectif dû à l’absence du respect de l’autre, de son droit de choisir, d’exister, de vivre. La femme violentée est considérée comme un être mineur, voire un objet qui doit être contrôlé et maîtrisé. L’usage de ce type de violence reflète, à l’échelon individuel ou collectif, les rapports de domination d’un sexe sur l’autre, que le corps social tolère. C’est un phénomène d’emprise qui reste un obstacle à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes. Ce sort réservé à certaines femmes participe du reste d’une culture de la violence et de la domination. Le comportement violent n’est pas inné, il s’apprend.
Aucune valeur, aucun comportement ne justifie l’usage de telles violences. Les femmes qui en sont victimes perdent confiance en elles-mêmes, se sentent humiliées, dévalorisées, coupables, prisonnières d’une situation qu’elles subissent et pour lesquelles elles ne voient pas d’issue. Pour sortir de cette violence qui les détruit, elles ont besoin d’être reconnues, par la collectivité, dans leur statut de victimes.
Depuis quelques années, les études et recherches menées à une échelle internationale ont permis d’établir que ces violences sont, le plus généralement, le fait d’hommes connus des victimes, ce qui accroît le nombre d’agressions répétées et fragilise d’autant plus les femmes qui les subissent. En 2000, une enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, menées auprès d’un échantillon aléatoire de 6970 personnes du sexe féminin, a révélé qu’une femme sur dix vivant en couple avait été victime dans les douze derniers mois de la violence de son conjoint ou partenaire. Rapportée à la population française, cette violence exercée par un partenaire intime pourrait concerner un million six cent mille femmes. Parallèlement, le ministère de la Justice affichait de 1997 à 1999 de 5 à 7000 condamnations prononcées en matière de violences entre conjoints. Le fossé reste donc profond entre la souffrance quotidienne et la réponse apportée par la collectivité.
Les conséquences des violences exercées contre les femmes sont multiples. Elles altèrent gravement la santé mentale et physique des victimes ; la gravité des traumatismes dépend aussi du type de violence subie et de sa fréquence. Chaque année en France, des dizaines de femmes décèdent des suites des violences qu’elles ont subies. Les proches, quant à eux, peuvent également être gravement affectés par la violence qui touche une personne de leur entourage.
L’usage de la violence contre les femmes a par ailleurs un coût pour les sociétés où il a lieu. À ce jour, très peu d’études permettent de chiffrer ce coût, mais songeons aux interventions de nombreux services (police, gendarmerie, justice, hôpitaux…), de professionnels de santé, à l’absentéisme au travail, au développement de structures d’accueil et de protection pour les victimes, aux réparations des dommages matériels causés par le ou les agresseurs, aux difficultés pour des enfants qui sont victimes directes ou indirectes…
Cette violence particulière n’est pas isolée par rapport aux autres formes de violence que connaissent nos collectivités. La quasi-absence de poursuites et sanctions des auteurs reflète le seuil de tolérance de nos sociétés et par là légitime l’usage de la violence ; ce qui est permis à l’égard des femmes peut l’être à l’égard de l’ensemble du corps social. Le développement de ces violences se nourrit d’absence de politique forte pour les combattre, et il atteint l’ensemble du tissu social.
Bien sûr, pour éviter les comportements violents, il faut développer une prévention primaire, renforcer les mesures en faveur des victimes, se doter d’outils d’évaluation. Mais sachons que la lutte contre ces violences à l’égard des femmes nous concerne toutes et tous. Ce combat ne doit pas être seulement porté par les groupes de femmes, il doit devenir l’engagement de celles et ceux qui veulent une société de respect, sans violence.
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