Le mardi 7 juin 2022, les négociateurs du Parlement européen et du Conseil de l’Union Européenne (UE) ont abouti à un accord sur des règles pour assurer « des salaires minimums adéquats » dans l’UE – et non un salaire minimum européen, une politique qui ne relève pas des compétences de l’UE.
Comme l’explique Klevi Kerneis, chercheuse associée à l’Institut Jacques Delors, dans sa publication du 15 juin 2022 ([EN] Un pas de plus vers un salaire minimum adéquat dans l’UE – Institut Jacques Delors), ce projet d’une initiative législative européenne sur les salaires minimums européens dans l’UE était l’une des principales promesses de la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, aux salariés européens. L’enjeu d’une telle proposition est notamment de lutter contre la pauvreté au travail. De plus, dans le contexte actuel de hausse des prix, un nouvel objectif est apparu consistant à protéger les travailleurs européens les moins rémunérés face à l’inflation.
Plusieurs pays membres de l’UE – situés principalement en Europe du Nord – étaient réticents à l’élaboration d’une directive dans ce domaine. Cela est dû en particulier au fait qu’il n’y a pas de salaire minimum légal dans certains pays où cette question relève uniquement de la négociation collective ; il en est ainsi, dans les six pays suivants : Suède, Danemark, Finlande, Autriche, Italie, Chypre.
Pour d’autres Etats membres comme la France, le Luxembourg, la Belgique, l’Italie et l’Espagne, légiférer au plan européen en cette matière présente l’intérêt de favoriser une convergence salariale et sociale, permettant d’éviter le « dumping social » au sein de l’UE.
On peut, en effet, citer l’exemple du salaire minimum luxembourgeois (2257 euros bruts) qui est sept fois plus élevé que le salaire minimum bulgare (332 euros bruts), en valeur, et environ trois fois plus élevé en prenant en compte les différences de prix nationaux.
Dans la négociation du texte « sur les salaires minimums européens adéquats », le Conseil de l’UE a veillé à préserver autant que possible les traditions et pratiques des Etats membres .
Au final, cela a permis, l’approbation du texte par la quasi-totalité des pays membres, exception faite du Danemark et de la Hongrie – la Hongrie considérant cette mesure comme un empiètement sur la souveraineté nationale.
Ce projet de directive met l’accent sur la notion de salaire permettant « un niveau de vie décent ». Pour les 21 pays membres de l’UE ayant un salaire minimum légal – alors que pour les 6 autres, cela relève de la négociation collective -, des règles contraignantes ont donc été adoptées pour favoriser l’augmentation des salaires minimums. Ainsi, pour ces pays, il faudra évaluer si les salaires minimums légaux existants sont suffisants pour assurer un niveau de vie décent, et ce en prenant en compte le pouvoir d’achat, sur la base d’« un panier de biens et services à prix réels ». Un mécanisme édicté par le texte cherche à encourager l’augmentation des salaires minimums dans l’Union : ils doivent respecter des « valeurs de référence » correspondant à « 60% du salaire médian brut » ou à « 50% du salaire moyen brut ».
Un autre aspect de la future directive réside dans l’incitation à la concertation sociale sur ces questions salariales dans chaque pays membre. Le dialogue social s’en trouve ainsi encouragé.
Klevi Kerneis, dans sa publication pour l’Institut Jacques Delors, souligne aussi que cette directive devrait favoriser la réduction des inégalités salariales entre hommes et femmes car il y a de nombreuses femmes concernées par des bas niveaux de salaire.
On peut aussi souligner que ce texte répond, au moins pour partie, à une attente importante des citoyens européens à l’égard de l’’Europe sociale. Et Klevi Kerneis de citer dans son article que 9 européens sur 10 considèrent l’Europe sociale comme importante pour eux, personnellement. Cela a été corroboré par les recommandations citoyennes de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, dans le domaine des politiques sociales.
Une telle directive est ainsi de nature à donner une existence concrète au principe 6 du socle européen des droits sociaux : « Les travailleurs ont droit à un salaire équitable leur assurant un niveau de vie décent ».
Cependant, comme le relève Klevi Kerneis, l’impact réel de cet accord dépendra de sa mise en œuvre effective par les Etats membres. La Commission européenne aura à suivre et à évaluer cela, en particulier en ce qui concerne la mise en application des « valeurs de référence ».
Soulignons, enfin, que pour la France, il s’agissait de l’une des priorités de la présidence française de l’UE dans le souci de lutter contre le « dumping social » dans l’Union.
L’aboutissement de ce projet va permettre de « protéger les travailleurs européens, d’accélérer la convergence des salaires et de lutter contre le dumping salarial », représentant ainsi « un pas important et une étape nouvelle vers l’Europe sociale », comme le met en exergue Klevi Kerneis, interrogée par Les Echos (Klervi Kerneïs : « La directive va accélérer la convergence des salaires en Europe » | Les Echos).
Ce projet de directive va prendre environ deux années avant d’être approuvé officiellement puis transposé dans chaque pays membre de l’UE.
L’approfondissement de l’Europe sociale nécessitera néanmoins d’autres initiatives législatives ainsi qu’une volonté politique dans chaque pays membre pour la mise en œuvre effective de cette Europe sociale.
Grégoire Lefèvre et Dominique Pannier