Il y a une dizaine d’années alors que j’étais un jeune responsable de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC), j’ai participé à un débat avec un représentant des organisations patronales de l’hôtellerie et de la restauration. La JOC étant la première association représentative des apprentis en France, j’y ai partagé les témoignages de nombreux apprentis dont la passion pour le métier s’est fracassée contre le mur des conditions de travail indignes du secteur : salaires bas, semaines de 55h, heures supplémentaires non payées, insultes et brimades à répétition… Mon contradicteur avait répondu que c’était le prix à payer pour faire un « métier-passion » et qu’on ne devient pas un chef étoilé richissime sans mouiller un peu la chemise. Pour lui, les 750.000 salariés du secteur partageaient tous le rêve de devenir le nouveau Paul Bocuse au prix du sacrifice de leur vie personnelle, familiale et sociale.
Pendant des années, cette idéologie méritocratique du « métier-passion » a servi de justification aux conditions de travail indignes du secteur. On a fait miroiter à toute une génération de jeunes travailleurs une réussite trop souvent restée à l’état de promesse non tenue. Il a suffi d’un confinement pour qu’un grand nombre d’entre eux prennent conscience de la supercherie et décident de se reconvertir dans d’autres métiers. Aujourd’hui, les lumières de Top chef n’arrivent pas à compenser la mauvaise image d’un secteur devenu synonyme d’exploitation plus que de passion et qui manque cruellement de bras.
Dans sa lettre au mouvement populaire d’avril 2020, le pape François disait que « notre civilisation, si compétitive et individualiste (…) doit être freinée, se repenser, se régénérer ». Il est heureux que le coup de frein des confinements ait permis une certaine prise de conscience dans le monde de la restauration et de l’hôtellerie.
Le 18 novembre dernier, les partenaires sociaux de la branche ont engagé des négociations. Mais il y a derrière cette situation sectorielle bien plus qu’une question de marché du travail. Il s’agit d’un choix de civilisation. On peut poursuivre dans la civilisation de l’égoïsme dont les mécanismes de marché et l’idéologie du mérite mettent notre planète et notre travail au service d’une riche minorité. C’est le choix du gouvernement français dont la réforme de l’assurance chômage assume de dégrader les conditions de vie des demandeurs d’emploi pour les obliger à accepter des emplois mal payés et les conditions de travail indignes. Face à cela, nous pouvons construire la civilisation du partage que le pape François appelle de ses vœux dans son dernier message aux mouvements populaires du 16 octobre 2021. Il y propose de partager les richesses en créant un salaire universel et de partager le travail par la réduction généralisée du temps de travail. Bien plus que les questions identitaires, c’est sur ce choix de civilisation que nous serons amenés à nous prononcer à l’occasion des prochaines élections présidentielles.
Stéphane Haar, délégué diocésain à la Mission Ouvrière du diocèse de Lille
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