La Banque centrale européenne (BCE) n’avait pas bonne presse à ses débuts, du moins en France, et il s’en est fallu de peu que le référendum de 1992 sur le « Traité de Maastricht » ne soit rejeté. On lui reprochait chez nous l’étroitesse de ses missions consacrées à la seule préservation de la stabilité de la zone Euro. A l’épreuve des crises des années 2010, il s’avéra que ce concept de stabilité avait le dos large et qu’il pouvait aussi conduire à lutter contre les spirales déflationnistes de manière efficace, comme ce fut illustré magistralement par Mario Draghi avec son discours fameux du « quoi qu’il en coûte », signifiant par là que la BCE était prête, au besoin par des rachats massifs de bons du trésor, à déjouer toute spéculation visant à désolidariser de la zone Euro les Etats du sud en difficulté tels que la Grèce, le Portugal et l’Italie. La BCE et l’Euro y gagnèrent une réputation protectrice qui ne fit pas peu pour aider à maintenir un front uni dans les négociations du Brexit.
Aujourd’hui, la publication le 8 juillet dernier par la BCE de sa « Déclaration de stratégie de politique monétaire» montre que la notion de stabilité peut conduire à une interprétation encore plus vaste de sa mission. Il vaut la peine de se pencher sur ce document complexe (1) car ce type de manifestation publique est assez rare, la dernière datant de 2003. Les 19 membres du comité des gouverneurs représentant les banques centrales fédérées par la BCE y partent du constat qu’il est inconcevable de prétendre défendre la stabilité de la zone Euro sans désormais prendre en compte les effets déstabilisateurs du changement climatique. Autrement dit l’ensemble du cadre de la politique monétaire de la BCE doit être adapté pour favoriser le développement des politiques de lutte contre le réchauffement climatique et l’organisation de la transition environnementale. La BCE ne travaille pas que dans le court terme. Il lui revient de contribuer avec ses outils à créer les conditions d’une cohérence des investissements et des outils de financement dans le long terme. Ainsi « stabilité » ne veut pas dire « immobilité » mais relève plutôt du même concept que « viabilité » ou « soutenabilité » dans le langage de l’environnement et du climat.
Le « plan climat » de la BCE consiste donc à inscrire dans les outils de la politique monétaire européenne les enjeux globaux du « Green deal (2) » adopté par l’UE, en usant de tous les leviers de sa responsabilité. Ainsi la BCE inclura-t-elle désormais dans la surveillance des agences de notation leur aptitude à prendre en compte les risques environnementaux et l’empreinte carbone des entreprises et des banques qu’elles évaluent. De même conditionnera-t-elle à ces risques l’éligibilité des «contreparties » données par les banques en échange de son soutien, les fameux « collatéraux (3) ». Les indicateurs et les catégories « environnementales » utilisées par la BCE n’innoveront pas. Ils seront directement inspirés de ceux en vigueur dans le cadre des politiques générales de l’Union de soutien aux investissements, spécifiquement ceux en usage pour le plan de relance « nouvelle génération Europe « approuvé par le Parlement européen, qui font eux -mêmes l’objet d’intenses négociations. Il n’empêche, il est bon de savoir que l’espace monétaire européen s’organise en cohérence avec ses ambitions de long terme.
Jérôme Vignon
1.https://www.ecb.europa.eu/home/search/review/html/ecb.strategyreview_monpol_strategy_stateme
2. Stratégie globale adoptée en 2019 par l’UE sur proposition de la Commission Van der Leyen et visant à réaliser la neutralité carbone en 2050 . L’objectif intermédiaire de réduction des émissions GES de 55% en 2030 vient de faire l’objet d’un vaste ensemble législatif.
3.Le rachat de titres publics détenus par les banques pour obtenir des liquidités de la BCE nécessite de présenter des garanties sous formes d’actifs aussi appelés « collatéraux ».