Les gilets jaunes et la violence mimétique

En radicalisant leur mouvement, en n’admettant avec obstination aucune représentation et en visant explicitement l’Elysée et précisément Emmanuel Macron, les gilets jaunes ont mis en marche tous les ingrédients d’une crise mimétique de grande ampleur.

Rappelons les critères de la crise mimétique selon René Girard : il s’agit d’un jeu de doubles en rivalité pour la possession du même objet (ici du pouvoir d’achat). Au fur et à mesure de la montée en puissance de la rivalité mimétique, les critères d’individuation de chaque acteur s’effacent (je ne représente que moi-même et je refuse toute représentation) pour laisser place à une foule en fusion (je parle au nom de tous et ma colère est grande) dont la rivalité se cristallise sur un « différent » (ici le président, censé incarner « les riches » qui possèdent le fameux pouvoir d’achat) qui devient tout à coup le bouc émissaire des rivalités. Si rien n’est fait pour apaiser la violence celle-ci monte aux extrêmes et aboutit au lynchage de la victime émissaire.

Hier soir, sur le plateau de BFMtv, la scène avait quelque chose de tout à fait hallucinant : les gilets jaunes continuaient à ne parler que pour eux-mêmes et mettaient en avant des revendications divergentes, assez précises pourtant pour fournir la base d’une négociation qu’ils s’estimaient illégitimes à mener. Et Guy Drouet maintenait son appel à investir l’Elysée. Et là vous faites quoi ? demande la présentatrice. Gêné, Guy Drouet ne sait trop quoi répondre. Il passe sous silence la suite logique de son appel : la mise à mort de la victime émissaire. Et l’effondrement – attendu, espéré même par certains – de la République.

Car la résolution de la crise mimétique passe par la mort violente de la victime qui scelle la réconciliation de la foule. On pouvait presque lire ce souhait sur les visages fermés des protagonistes électrisés par le média télévisuel. Le problème est que cette magie de la crise mimétique marchant de moins en moins bien, il ne suffit plus d’une victime pour apaiser la crise. Il va falloir faire tomber beaucoup de têtes avant que tout cela s’apaise. Le rappel des quatre morts déjà offerts à la cause du pouvoir d’achat n’avait pas l’air de les déranger, ni de les freiner. Bien au contraire : c’est de la faute à la police !

Comme si la police était en miroir de leur propre violence ! Or ça n’est pas le cas : La police c’est la force de la loi et de la République opposée en dernière instance à la force pure de la foule. Mais bien sûr les Gilets jaunes aiment prendre la place de la victime. Il y a dans leur plaidoyer une auto victimisation qui a quelque chose d’extrêmement gênant.

Bien sûr les causes de cette crise mimétique viennent d’une énorme envie de partager plus équitablement la richesse de la nation. La richesse des nations. C’est cela qu’il faut entendre. Et dans le temps long. En réalité c’est la non-condamnation des auteurs bien concrets de la crise financière de 2008, c’est le retour au business as usual qui me semblent être à l’origine de cette immense machine mimétique. L’impunité totale – imputée à juste titre aux politiques – de ceux qui ont mis à terre le système financier international a fait perdre confiance dans toute institution nationale, régionale, mondiale censée rendre la justice, gérer la violence et répartir justement les fruits de la croissance.

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Jean-Pierre Rosa, rédacteur des SSF

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