Retour sur la Rencontre de Reims
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Dossier Rencontres anuelles
Le responsable de ce Forum était Jean-Brunet Lecomte, chef d’entreprise, président d’honneur des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens, membre du Comité des Semaines Sociales de France. Olivier Jay, journaliste à La Croix animait la journée. Les questions de la salle ont été recueillies et organisées par thèmes par Françoise Malrieu et Bertrand Badré, tous deux trésoriers et membres du Conseil des Semaines Sociales.
Le travail est une source majeure d’apprentissages. Mais dans un contexte de « course à la compétence » désormais planétaire, comment organiser de manière neuve une transmission des techniques et des savoir-faire ? De plus, on n’a pas souvent conscience de tout ce qui se transmet dans la sphère professionnelle, par des actions explicites ou une succession de gestes au quotidien : en particulier des comportements qui forment un savoir-être spécifique. Qu’en est-il donc de ces transmissions aujourd’hui, où le temps et l’espace économiques changent en permanence ?
Enfin, dans un monde complexe et très mobile, les critères d’évaluation professionnelle seront de plus en plus exigeants. Comment reconnaître l’expertise mais aussi l’expérience ? Comment faire collaborer les jeunes générations que l’on accueille de plus en plus difficilement, et les moins jeunes, qu’on a tendance à faire partir trop vite ? Dans ce contexte, comment le monde du travail peut-il mieux prendre en compte la dimension humaine de la compétence, et s’en servir pour tirer profit de ses « ressources humaines ».
« Partager des valeurs, susciter des libertés », qui ne rêverait pas que cette tension soit effectivement et partout à l’œuvre dans le monde du travail ? Et pourtant, à tort ou à raison, on pourrait douter que ce soit toujours ainsi que la transmission s’y vive … Partager des valeurs, peut-être, transmettre, parfois, susciter des libertés, c’est à voir …
Mais on peut au moins empiriquement dire que la transmission est un des processus opérant dans le monde du travail, et même plus : que la transmission en général, celle qui structure des individus dans toutes leurs dimensions, est déterminée en partie par ce que le monde du travail met à disposition.
Ainsi, des générations mais aussi des « profils » différents se côtoient et se succèdent dans le lieu professionnel. Cette cohabitation des uns avec les autres, cette exposition des uns aux autres produit une substance qui est la sève des grandes organisations où l’on travaille, qu’on veuille le reconnaître ou non, qu’on l’appelle « culture d’entreprise », « ambiance de travail » ou « cahier des procédures ». Et au-delà, chacun est marqué par sa vie et son itinéraire professionnels. La plupart du temps dans les dîners en ville, on se présente volontiers et d’abord en fonction de l’activité que l’on exerce. Outre les us et règles de savoir-vivre, c’est bien qu’il y a là quelque chose qui nous habite et nous construit de telle sorte que l’on ne peut l’éviter.
C’est sur la base de ce constat, de cette intuition, que l’équipe de préparation et d’animation de ce forum s’est emparé du thème de la transmission. Et la tâche fut ardue à divers titres. D’abord parce que la transmission, de valeurs a fortiori, est naturellement et parfois exclusivement associée aux sphères de la famille et de l’école. Ainsi, certains dirigeants d’entreprise interrogés sur le sujet eurent une forte propension à limiter le sujet à celui de la formation professionnelle. Ensuite parce que la transmission dans le monde du travail est souvent et en grande partie à l’œuvre sans qu’on la nomme. Elle « fait partie des murs », au sens où elle structure de manière tellement évidente les organisations qu’on ne la voit même plus. Enfin parce qu’organiser un débat public sur ce thème risquait de nous amener à réduire le sujet – ou au contraire l’ouvrir à l’excès ! – aux défis et difficultés du monde du travail aujourd’hui par rapport à ce qu’il était il y a une génération. Bref, il nous aura fallu naviguer à vue. Ce fut aussi une exigence pour les intervenants qui nous ont fait l’amitié de venir en parler, avec beaucoup d’intelligence et d’énergie.
Un lieu premier de socialisation et d’apprentissage
Force est de constater que le monde du travail est un lieu premier de socialisation, non au sens qu’il serait plus important, meilleur ou antérieur que d’autres. Mais au sens où il marque un âge entier de la vie et qu’il est un lieu rare, comme le souligne Bernard Quintreau, « où toutes les générations se croisent et cohabitent ». Le monde du travail est un lieu majeur de brassage, mais aussi d’intégration sociale, ajoute Jean-Christophe Le Duiguou. Ce qui rend pour lui d’autant plus insupportable le fait que 5 à 6 millions de Français puissent en être durablement ou régulièrement exclus, devenant des « surnuméraires » non seulement de la sphère professionnelle mais aussi du tissu social
Au-delà, le monde du travail n’est pas qu’un lieu de vie. C’est aussi l’endroit où des hommes et des femmes œuvrent ensemble pour aboutir à une production commune. On y vit ensemble parce qu’on y fait ensemble. Et pour ce faire on s’y transmet des manières de faire, des « modes de production », mais aussi des manières d’être, parce que la comportement au travail n’est pas le même selon l’endroit où l’on est. C’est ce qui fait dire à Michel Coquillon que l’on « apprend beaucoup plus dans le travail qu’à l’école », et finalement, pour lui, qu’on apprend beaucoup plus en travaillant et en cohabitant, en « co-laborant », qu’en apprenant. Tout cela semble d’une évidence enfantine, mais nous ne définissons pas tout le temps le monde du travail sur la base de ces fondamentaux.
Pas de performance sans transmission
Les organisateurs se seraient-ils trompés en considérant transmission et performance comme des contraires ? Oui, si l’on considère performance dans son sens premier d’accomplir. Rose-Marie Van Lerberghe ajoute même qu’il n’y pas de performance sans transmission. Elle prend ainsi l’exemple de ce qui est à la base du professionnalisme en milieu hospitalier : la compréhension et la maîtrise de la relation clinique, entre soignant et patient. Expliquant le temps conséquent passé « sur le terrain » par des apprentis-soignants, elle illustre ainsi que l’on ne peut connaître son métier qu’au contact des expérimentés, que l’on ne peut l’apprendre que par capillarité, que par le contact au quotidien de celles et ceux qui savent faire. Elle est rejointe dans ce diagnostic général par Philippe Marcel , qui voit ce processus à l’œuvre au quotidien dans toutes les entreprises et auprès de tous les collaborateurs qu’il est appelé.
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