La France moyenne est maintenant bien logée. Ont pratiquement disparu les logements sans W.C. intérieur ni installation sanitaire ; ils étaient 15% en 1984. En vingt ans, alors que la taille moyenne d’un ménage baissait, la surface moyenne par logement est passée de 80m2 à 90m2, d’où une augmentation de 30m2 à plus de 40m2 de la surface par personne. En 2013 6% des ménages estimaient leurs conditions de logement insuffisantes, soit environ 4 millions de personnes, contre 13,4% en 1984.
La très forte hausse des prix des logements anciens, de la fin des années 90 à 2008 (plus d’un doublement) a contraint les ménages à serrer leurs budgets en cas d’achat et à habiter plus loin. La construction des maisons s’est déplacée vers les zones périurbaines ou rurales. Ceci s’est accompagné d’une ségrégation sociale croissante. La hausse des prix en est à la fois cause et conséquence. Les prix de deux logements identiques diffèrent s’ils sont dans des quartiers dont les revenus divergent.
Le marché du logement s’est beaucoup transformé en 20 ans. La proportion de propriétaires, 51% en 1984, est aujourd’hui de 58%. La proportion de locataires HLM, 15% en 1984, a monté à 17%. La proportion de locataires dans le secteur libre, plus de 22% en 1984, est tombée à 20%. C’est inquiétant : la proportion de locataires HLM était suffisante en 1984 et la proportion de locataires du secteur libre aurait dû croitre. Nous nous rapprochons progressivement de la situation italienne : les locataires italiens s’acquittant de moins en moins de leur loyer, le marché libre a disparu. Les jeunes, principaux utilisateurs du marché libre, ont été contraints de rester chez leurs parents beaucoup plus longtemps qu’ailleurs en Europe, notamment du Nord, avec moins d’enfants. Il faudrait sanctionner strictement le non-paiement d’un loyer comme pour le non remboursement d’un prêt bancaire. Ensuite, il faudrait favoriser la construction de logements destinés à la location. La France possède une proportion de logements HLM plus élevée que dans les autres pays. La demande de logements HLM (1,4 million en 2013) est grossièrement excessive. Il faut imposer des règles plus strictes pour l’accès aux HLM. Il est anormal qu’en proportion relativement élevée (plus de 20% pour le dixième décile, plus de 50% pour le 6ème décile de revenus) des locataires aisés soient logés dans les HLM, plutôt dans les « bons » HLM du centre-ville. Il faudrait ôter toute influence de la politique locale sur l’attribution de logements HLM.
Les aides au logement, relativement importantes en France et avec un réel effet redistributif, visent à mieux loger les moins bien lotis. Les ménages à bas revenus en HLM payent un loyer représentant 33% de leur revenu mais, après déduction de l’aide au logement, le solde restant n’est plus que de 10% de leur revenu. C’est à la politique de la Ville avec ses zones sensibles, de se préoccuper des lieux d’habitation. Ses effets sont modestes. Il y a 4 millions d’habitants dans les 700 zones urbaines sensibles (ZUS). 60% des ménages y sont locataires HLM. La proportion d’immigrés et de familles monoparentales est à 2 à 3 fois supérieure aux moyennes nationales. Afin de disperser les logements sociaux, la loi sur la solidarité et la rénovation urbaine instaure une pénalité pour les municipalités au-dessous du seuil de 20% de logements sociaux. Ce dispositif, mal conçu, n’a pas été incitatif. Les inégalités de composition sociale entre quartiers sont d’abord infra-communaux.
Paul Champsaur, ancien directeur général de l’INSEE (1992-2003) et ancien président de l’Autorité de statistique publique (2003-2015)