L’Apocalypse n’est pas la fin du monde

Avant même la crise sanitaire, le mot apocalypse avait fait retour dans nos débats dans un contexte de prise de conscience croissante de la gravité de la menace climatique.

Dans les textes religieux, l’Apocalypse se présente comme une mise en récit de la fin du monde. Mais le sens originel du mot est « dévoilement » ou « révélation », ce qui ouvre la possibilité de ramener l’apocalypse dans l’histoire. Quand on lit bien un penseur comme René Girard, on voit que la « pensée apocalyptique » dont il n’a cessé de se réclamer est d’abord une façon de lire l’histoire humaine, mais aussi la vie de chaque personne, à partir des ruptures et des drames où s’inventent de nouvelles manières de vivre, de penser et de comprendre le sens de la vie. Ce schème de pensée sous-tend ses analyses les plus marquantes, qu’il s’agisse de sa vision événementielle du processus d’hominisation (le rôle des crises mimétiques et du meurtre fondateur comme déclencheur de l’émergence de la pensée symbolique), de son interprétation de la Passion du Christ comme dévoilement dramatique des ressorts de la violence humaine, ou à sa compréhension de ce qu’est une conversion – un moment « apocalyptique » qui oblige à faire son deuil d’une certains vision du      « moi » et de ses désirs pour accéder à un « point de vue plus élevé » sur l’existence.

En suivant cette ligne de pensée, il ne s’agit donc pas d’abord de se préparer à la fin du monde – même si nous savons que cette fin arrivera -, mais de porter sur l’histoire un regard qui donne toute sa place aux « catastrophes » (au sens large du terme) et à leur capacité de provoquer des inventions, des renouvellements et des conversions. Pour le dire autrement – et c’est peut-être la seule manière de donner sens à l’événement dramatique et déconcertant auquel nous sommes confrontés – l’histoire peut être vue comme une aventure spirituelle dans laquelle nous n’avançons qu’en nous laissant provoquer, stimuler et guider par des événements apparemment contingents. La manière dont les prophètes bibliques n’ont cessé d’affiner leur image de Dieu pour donner sens à des événements dramatiques (je pense à Ezechiel au moment de l’Exil) a toujours valeur d’exemple.

« Le malheur qui nous frappe aura certainement de multiples répercussions. »

À nous d’encourager et de valoriser celles qui vont dans le sens d’un vrai progrès humain : reconsidération de nos manières de vivre et de travailler (télétravail), vraie hiérarchie des valeurs, relativisation de notre envie de vacances au bout du monde, regard critique sur excès de la mondialisation, importance du lien avec les proches et les voisins, regard porté sur les personnels de soin et toutes les « petites mains » qui nous font vivre, exigences de la gouvernance publique pour les gouvernants et les gouvernés, solidarité mondiale, importance de la démocratie et de la continuité des institutions en période de crise, etc.

Voilà peut-être une providentielle répétition générale pour les crises bien plus graves qui nous attendent quand les effets du changement climatique se feront pleinement sentir.

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Bernard Perret, Ingénieur et socio-économiste, membre du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD), chroniqueur au journal La Croix et membre du comité de rédaction de la revue Esprit

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