Retour sur la Rencontre de Reims
Réfléchir et débattre sur les grandes questions sociales et sociétales dans le contexte européen.
Garantissons à tous l’accès aux soins palliatifs avant d’envisager une aide active à mourir
Chaque semaine, un regard différent sur l'actualité.
Régulièrement les Semaines sociales de France proposent un voyage apprenant principalement au cœur des institutions européennes pour comprendre, échanger ensemble et avec les députés européens mais également en France dans des quartiers.
Les principes de la pensée sociale de l'Église sont tous orientés vers le respect et la promotion de la dignité humaine. La dignité procède du fait que toute personne est créée à l'image de Dieu et qu'elle est appelée au salut.
La plateforme met en avant les initiatives de terrain en relation avec la pensée sociale chrétienne. Ces témoignages alimentent vos réflexions et vous donnent envie de vous engager pour dupliquer autour de vous ces actions ? Contribuez vous aussi la plateforme. Partagez vos initiatives via via plateformedubiencommun@ssf-fr.org
Dossier Europe
En face de la mondialisation, quel cadre choisir pour nous autres citoyens, enracinés dans leur région et dans leur histoire? Avec cette question, nous faisons un pas de plus vers le cœur du notre débat.
Le débat nation-Europe s’est trouvé posé dès le début du processus de la construction européenne, dès la signature des traités de Paris et de Rome. Périodiquement nous l’avons vu resurgir, à l’initiative d’un des pays membres de la commun mais s’était posé avec une telle vigueur qu’à l’occasion de la ratification du traité de Maastricht. Deux de nos intervenants ont d’ailleurs publié des ouvrages qui ont trait directement à ce traité.
Ce qui est en question, ce n’est pas principalement la ratification d’un traité difficile et obscur. Mais quelle est l’Europe que nous voulons? Sur le principe de l’Europe, il n’y a plus heureusement de débat.
Tout le monde est convaincu à la fois de son utilité et de sa nécessité. Mais il y a beaucoup d’Europes possibles, allant d’une coopération interétatique entre nos nations à une fédération avec citoyenneté directe, ayant vocation à tout embrasser, le technique et le politique.
Cette question-là, qui est celle d’aujourd’hui, est un vrai débat politique, au sens le plus noble du mot politique, car elle n’est pas un débat d’intérêts partisans, elle n’est pas un débat d’intérêts matériels, mais un débat entre deux conceptions du bien public, un débat fondateur. C’est d’ailleurs ce débat qu’ont connu les États-Unis d’Amérique dans leurs premières années d’existence.
Pour le traiter, trois personnalités ont bien voulu nous apporter leurs compétences et leur sagesse.
Krzysztof Pomian, historien et écrivain, auteur de L’Europe et ses nations, bénéficie d’un double recul, d’abord parce qu’il est historien, mais aussi parce qu’outre la nationalité française, il a la nationalité polonaise qui lui donne sur notre Europe occidentale une vision plus lucide et plus géopolitique. Dans L’Europe et ses nations, Krzysztof Pomian nous montre de façon lumineuse le double mouvement qui a poussé sans cesse notre continent alternativement vers la nation et vers l’unification. Krzysztof Pomian décryptera pour nous ce processus de construction et de conflit qui secoue et forge notre continent depuis mille ans.
Paul Thibaud, journaliste, essayiste, directeur de la revue Esprit, est l’auteur de nombreux ouvrages et en particulier, avec Jean-Mare Ferry, d’une Discussion sur l’Europe, discussion très percutante car elle débusque impitoyablement tous les non-dits de la construction européenne et pose sans détour les vraies questions de la construction européenne.
Enfin Jeun-Louis Bourlanges, député européen, président de la section française du mouvement européen, est un grand connaisseur des problèmes européens, en particulier institutionnels. Il est un militant engagé pour la construction d’une Europe forte, démocratique cl généreuse.
Avec l’aide de ces trois personnalités qui vont nous guider au cœur de ce débat Europe-nations, chacun de nous pourra se forger une conviction forte sur l’Europe qu’il nous faut.
Krzysztof Pomian
Où en est la nation aujourd’hui en Europe occidentale, c’est-à-dire dans la partie de l’Europe qui n’a pas été incorporée dans l’Union soviétique ou dominée par celle-ci ? Voilà qui définit l’espace de notre réflexion. Je commencerai par évoquer quatre faits, tous sans précédent.
Premier fait, aucune nation européenne n’a d’ennemi en Europe, an sens où avant 1914 la France était ennemie de l’Allemagne, ennemie de l’Autriche et l’Autriche ennemie de la Serbie.
Deuxième fait, il n’y a plus en Europe de conflits idéologiques qui auraient opposé deux blocs comme lors du conflit entre les démocraties et le totalitarisme fasciste et nazi du 1933 à 1945, ou lors du conflit entre les démocraties et le totalitarisme soviétique à partir de 1917, mais surtout depuis 1945 et jusqu’à la réunification de l’Allemagne.
Troisième fait, il existe une Union européenne dont font partie presque tous les États de l’Europe occidentale, et à laquelle veulent adhérer les États de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est.
Quatrième fait, l’intervention du monde extra-européen dans la vie de chaque habitant de l’Europe est plus forte qu’elle n’a jamais été, que cela soit par l’intermédiaire des marchandises, des capitaux, des migrants avec tout ce qu’ils apportent, ou encore d’images sur les écrans de télévision.
Tous ces facteurs affaiblissent certainement le lien national. Dans la constitution de celui-ci, la haine de l’ennemi et la guerre ont joué un rôle essentiel. Plus récemment, la guerre froide a conduit à un développement sans précédent des appareils militaires et policiers des États, et leur a permis de fonctionner dans une sorte de régime d’exception, où la !égalité ne trouvait pas toujours son compte – on en solde les factures maintenant – mais qui était propice aux institutions de protection sociale chargées d’intégrer les citoyens dans la nation de manière qu’aucun ne se sente exclu.
En tant que représentant un pouvoir souverain, l’État national avait une autorité qu’il perd avec l’abandon de certaines de ses prérogatives. L’effacement des frontières dans l’espace de libre-échange, dans la vie quotidienne et dans l’audiovisuel contribue au brouillage des repères.
D’aucuns en tirent la conclusion que les nations appartiennent au passé et que désormais nous marchons à grands pas vers une Europe devenue elle-même une grande nation dont feront partie non pas des nations d’aujourd’hui, mais des régions telles que Mulhouse-Bâle-Fribourg, ou Barcelone-Montpellier-Gênes.
Des penseurs plus audacieux parlent carrément du remplacement des nations par des réseaux sur Internet. Il est vrai qu’ils ne distinguent plus très bien la réalité virtuelle de leurs fantasmes de la réalité réelle du monde où ils vivent, ce qui les autorise à dire à peu près n’importe quoi.
Et pourtant les nations ne semblent pas s’évaporer tranquillement. Si nous regardons les nations qui ont leur État, nous constatons, primo, un grand intérêt manifesté partout pour le patrimoine national et pour tout ce qui est censé exprimer l’identité nationale, ce qui la renforce par un effet en retour. Secundo, nous constatons un manque d’enthousiasme, et c’est une litote, à l’égard de l’Union européenne. Je rappelle le rejet de l’adhésion par la Norvège, les deux référendums sur la ratification du traité de Maastricht au Danemark, et, en France même, une vraie bataille qui a laissé des séquelles. Tertio, nous assistons à la montée de partis populistes et xénophobes dans certains pays, tels l’Autriche, la France ou, d’une façon plus discrète, l’Italie.
Quant aux nations sans État – les Basques, les Catalans, les Écossais, les Gallois —, elles agissent en vue d’obtenir sinon son État, du moins tous les attributs de la puissance étatique qui permettent à une nation de décider de ses affaires intérieures. C’est uniquement sur le plan extérieur que les mouvements sont prêts à faire des concessions, connue en Écosse ou en Catalogne, par exemple.
Entre les deux cas, nations sans État, nations avec État, se situe la Belgique, menacée de suivre l’exemple du la Tchécoslovaquie et de vivre une séparation des Flamands et des Wallons après plus de 160 ans d’existence commune. Je rappelle pour mémoire que la Tchécoslovaquie a été créée en tant qu’État en 1918 et que les Tchèques et les Slovaques ne s’étaient jamais trouvés dans un même État avant celle date.
Nous avons donc affaire, aujourd’hui, à l’action simultanée de deux forces contraires, dont l’une pousse vers un approfondissement et un élargissement de l’intégration européenne avec, à terme, dans l’idéal, une Europe fédérale, les Etats-Unis d’Europe, tandis que l’autre force conduit à affirmer sa spécificité, la particularité et l’identité nationale, et à s’opposer à tout ce qui est perçu par les membres de la nation comme une menace pour son existence.
L’Union européenne ne prétend pas remplacer les nations. La rhéto¬rique officielle, qui fait un usage abondant du principe de subsidiarité, est supposée calmer toutes les inquiétudes sur ce point. En fait, la situation est plus complexe, car c’est au nom des règles du marché et de la « rationalité économique », de la nécessité aussi de faire face à la concurrence des États-Unis, du Japon, des dragons asiatiques, etc. que sont prises des décisions qui interviennent de plus en plus profondé¬ment dans la vie des nations membres et affectent le fonctionnement leurs États. Or, pour une nation moderne, démocratique, l’État est le principal instrument de la défense de ses intérêts collectifs dans les relations internationales, et de la défense de sa cohésion interne, par le maintien de l’ordre public, l’exercice de la justice, la protection sociale, l’éducation pour tous, etc. Toucher à l’État, c’est toucher à l’essentiel.
L’existence même et le renforcement progressif de l’Union euro¬péenne conduisent alors à se demander si la nation fournit encore un cadre satisfaisant de la vie collective et si elle le restera dans un avenir prévisible, ou si elle n’est désormais qu’une coquille. vide dont il vaut mieux se débarrasser au plus vite.
Très générale, cette question en recouvre au moins trois : la nation reste-t-elle un cadre des activités économiques? De la vie politique ? De la vie culturelle ?
A la première question, la réponse semble être un non catégorique. Le seul cadre des activités économiques n’est aujourd’hui ni la nation ni même l’Europe, c’est le monde. Pour ma part, je voudrais suspendre sur cette affirmation tranchante un petit point d’interrogation, car cela fait un siècle qu’on nous dit que le marché est mondial mais nous découvrons rétrospectivement qu’il ne l’était pas tout à fait. Il n’en reste pas moins que les échanges avec l’extérieur sont aujourd’hui pour tous les pays européens plus importants que par le passé, que nous sommes beaucoup plus dépendants de la conjoncture mondiale, et que l’Union européenne constitue désormais le vrai cadre juridique, financier, institutionnel pour un nombre croissant de secteurs de l’économie.
• Téléchargez le pdf
Retour sur la Rencontre de Reims
Du temps long de la parole, à l’action immédiate…
La Tribune : Il n’y a pas de sot métier
Quel travail désirable aujourd’hui ? Nouvelles attentes, nouvelles tensions
Suivez l’actualité des Semaines Sociales de France
Contact
18, rue Barbès
92120 Montrouge France
semaines-sociales @ ssf-fr.org
+33(0) 1 74 31 69 00