Le Vatican a publié ce jeudi 17 mai un texte important. Œconomicæ et pecuniariæ quæstiones propose – c’est son sous-titre – des « considérations pour un discernement éthique sur certains aspects du système économique et financier actuel ».
Il part d’un constat simple : depuis la fin de la 2nde guerre mondiale, le bien-être économique s’est considérablement accru, mais cette croissance des richesses est allée de pair avec celle des inégalités. Dans le même temps, on passait d’une économie fondée sur le travail à une économie financiarisée. L’argent est devenu sa propre fin et le travail un simple outil au service de l’argent.
Élaboré avec le concours d’experts financiers externes au Vatican, ce texte livre une critique sévère du système économique dominant. Il rappelle le style du pape François, quand il y est question de la « puissance de nuisance sans égal » des marchés financiers qui font prévaloir « un égoïsme aveugle ». « L’opportunité d’apprendre de la récente crise financière a été gaspillée et l’exploitation et la spéculation au détriment des plus faibles sont toujours une réalité aujourd’hui » nous dit-il encore. Et le texte de dénoncer sans détour le blanchiment d’argent, la non-transparence, la corruption, ou encore les placements offshore.
Mais ce nouveau document du magistère ne se contente pas de dénoncer, il formule plusieurs pistes. Entre autres : réguler les marchés, via une autorité supranationale ; séparer les activités bancaires entre gestion du crédit et de l’épargne d’une part, et activités spéculatives d’autre part ; dénoncer les instruments financiers tels que les subprimes ou les credit default swap qui ne sont rattachées à aucun valeur tangible ; réguler et évaluer les agences de notation elles-mêmes ; ou encore lutter contre l’évasion fiscale par une taxation minimale des transaction financières offshore.
Ce texte a déjà suscité des réactions assez contrastées chez les économistes, ce qui est plutôt bon signe. Il mérite d’être largement diffusé, commenté et débattu. Car s’il s’adresse en premier lieu aux responsables économiques et aux chefs d’États, il concerne aussi tous ceux qui jouent un rôle dans le système économique, c’est-à-dire, en réalité, tout le monde.
Mais l’histoire même de ce document nous dit quelque chose de la doctrine sociale. Ce n’est pas la première fois en effet que le Saint-Siège s’intéresse aux questions économiques. La préoccupation vient de loin et trouve un appui dans l’Évangile lui-même : Jésus se méfiait de l’argent, ce maître qui impose sa propre logique au détriment de toute autre. Mais il en reconnaissait aussi la nécessité – à condition de le cantonner à sa stricte utilité. En 2011, le Conseil pontifical « Justice et Paix » avait publié une note « pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle ». Cela lui avait valu de nombreuses critiques, non seulement d’économistes libéraux, ce qui n’était guère surprenant, mais encore de l’intérieur même de l’Église.
Le Cardinal Tuckson, qui présidait ce Conseil, devenu depuis le « Dicastère pour le Service du développement Intégral », n’a pas lâché l’affaire, encouragé par le pape François dont on connaît les positions contre le système financier.
Mais cette-fois, le texte est co-signé avec la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Ce n’est pas seulement une démarche habile pour faire taire les critiques internes à l’Église qui avait visées le précédent texte en 2011. C’est surtout une occasion d’approfondir la justification théologique de ces positions, en s’appuyant sur un corpus doctrinal comprenant notamment Populorum progressio de Paul VI, Sollicitudo rei socialis de Jean-Paul II et Laudato si’ de François.
C’est enfin une façon de rappeler clairement à tous les catholiques que ces questions sociales font pleinement partie du magistère ordinaire de l’Église et qu’elles engagent l’assentiment des fidèles. Ce ne sont pas des considérations annexes, à prendre ou à laisser, que l’on pourrait évacuer poliment en décrétant que l’Église sort ici de son domaine. Lorsqu’elle se préoccupe des questions économiques et financières, l’Église ne fait pas une excursion hors de son domaine de compétence qui serait un mystico-gazeux purement désincarné. Partant de sa réception de l’Évangile, elle en déploie continûment les conséquences dans tout le champ social. C’est l’essence même de la doctrine sociale chrétienne.
Pierre-Yves Stucki