Actualité de la planification à la française

Au cours des mois derniers les commentateurs de notre crise sanitaire se félicitaient de ce qu’enfin « l’économie ait été mise de côté » au bénéfice de l’humain. Et de fait, dans cette guerre contre la pandémie, les pouvoirs publics ont donné la preuve qu’ils étaient disposés à protéger les vies humaines quoi qu’il puisse en coûter , au prix d’une augmentation de la dette publique qui en d’autres temps aurait été considérée comme exorbitante. Ce changement de pied correspond à un changement brutal de régime économique et ne fait pas disparaître comme par enchantement les contraintes qui résultent de la dette . Ce n’est pas l’économie qui est mise de côté, ni même l’économie de marché, mais plutôt l’idéologie selon laquelle le marché se suffit à lui-même.

Non , il n’y a pas de marché sans règles : cela a toujours été vrai.

En ce sens , qualifier de « néo libérale » sans autre forme d’analyse la situation qui prévalait avant le séisme du Covid 19 relève d’une simplification abusive qui néglige la masse croissante des règles et des prélèvements obligatoires particulièrement en Europe et dans notre pays. Ce que la crise questionne , c’est le sens général de ces règles, leur intelligibilité au regard d’un avenir compris sinon désiré par tous.

L’intelligibilité et l’appropriation des règles communes constituaient la véritable raison d’être de la planification à la française qui connut ses heures de gloire non dans le temps de pénurie de l’après-guerre avec Jean Monnet, mais dans la dernière décennie des trente glorieuses, lorsque le Général de Gaulle attendait du Commissariat au Plan qu’il porte une vision « moins partielle de l’homme ». Pierre Massé, un homme d’exception, présidait à l’époque aux destinées du Plan.

On trouve dans ses écrits cinq grandes raisons de revivifier l’esprit de la planification à la française. Elles viennent en écho de nos attentes présentes :

La première réside dans l’objet même de ce processus d’intelligence collective : dessiner contradictoirement entre diverses forces sociales un ou des avenirs souhaitables ; l’actualité donnerait à cette recherche une forte dimension éthique , tant les potentialités des technologies sont aujourd’hui ambivalentes. La seconde consiste à hiérarchiser dans cette vision d’avenir entre différents horizons de court , moyen et long terme ; à défaut de cette graduation , nous sommes bien en peine pour viser l’horizon « zéro carbone » en 2050 , par exemple pour la modernisation de l’agriculture qui devrait être envisagée par étapes. La troisième tient à la réapparition de la notion de rareté avec les exigences d’un développement durable, une notion que la macro-économie peine à saisir ; la planification à la française(1) cultivait la microéconomie, c’est-à-dire la gestion optimale de la ressource rare sous contrainte sociale et ajouterons-nous, environnementale. La programmation des investissements publics aux différents échelons territoriaux était un apanage de la planification à la française, tombé en désuétude avec la régionalisation ; à l’heure où nous éprouvons clairement le besoin d’un renouveau de l’action locale pour le logement, la culture, la santé, gageons qu’une nouvelle décentralisation gagnerait à s’appuyer sur un cadre de cohérence national. Enfin la planification à la française soumettait en permanence l’apport des experts à la critique des « forces vives », les conviant à exposer les incertitudes et les limites de leurs modèles ; en ce temps où nous sommes accablés de prévisions multiples sans aucune précaution critique sur les sources et les instruments, cette attitude serait salutaire.

L’étoile de la planification à la française a pâli pour des raisons qui ne sont pas toutes mauvaises, notamment du fait de l’immersion croissante de l’économie dans un bain international et de l’incertitude sur les capacités budgétaires de la puissance publique. Il ne saurait donc être question de faire revivre l’institution telle quelle.  A l’heure où une réforme constitutionnelle se cherche ayant pour enjeu la délibération collective préalable aux grands choix politique, l’esprit et la démarche de la planification à la française peuvent cependant toujours nous inspirer car ils correspondent à un caractère de notre nation : se reconnaître dans un projet.

  1. « Le plan ou l’anti-hasard » recueil de conférences de Pierre Massé, préface de Jacques Delors

—-
Jérôme Vignon, président d’honneur des SSF et conseiller à l’Institut Jacques Delors

storage?id=1096851&type=picture&secret=ZdL3LU8wEbUd2F5EICIqqQqevjMpdstPaCngPN7w&timestamp=1594996681

Les plus récents

Voir plus