« Comme bon nombre de mes camarades, alors que la situation climatique et les inégalités de notre société ne cessent de s’aggraver, que le GIEC pleure et que les êtres se meurent, je suis perdu. Incapable de me reconnaître dans la promesse d’une vie de cadre supérieur en rouage essentiel d’un système capitaliste de surconsommation. Perdu…je m’interroge sur le monde et le système que nous soutenons…je doute et je m’écarte ». Telles sont les paroles de Clément, étudiant, prononcées lors d’une remise de diplômes et rapportées par Xavier De Bénazé (1).
Comme Clément, de plus en plus de personnes qui ont désormais conscience de l’urgence climatique et sociale, de la menace civilisationnelle à laquelle est confrontée l’humanité s’interroge : que dois-je, que devons-nous faire pour inverser, rapidement, le rapport de forces et rendre obsolète le système actuel ? Nous nous rendons compte que si nos petits gestes écolos du quotidien sont nécessaires, cela ne suffiront pas à « faire la bascule ».
Faire la bascule
L’initiative 6 mois pour la bascule lancée par Maxime de Rostolan, le créateur des « Fermes d’avenir », a pour objectif d’arriver à créer en 6 mois un vrai « mouvement de lobby citoyen » en mobilisant des volontaires, des bénévoles « pour inverser le rapport de force et amorcer, enfin, une véritable transition écologique et sociale en France. »
En appelant à la « guérilla mondiale », une guérilla positive, de l’innovation, de la transformation, de l’action, Nicolas Hasard (2) invite chacun à rejoindre le mouvement global des « guérilleros », ces femmes et hommes qui jour après jour réinventent radicalement leurs modes de vie. « La guérilla, c’est la lutte des faibles contre les forts. C’est un système où les plus petits entrent en résistance de leur propre chef, sans hiérarchie ni coordination internationale. C’est l’émergence de plein de petites poches d’individus partout sur la planète qui apportent de nouvelles idées pour s’en sortir…Il faut créer ce qu’Edgar Morin appelle des ‘îlots de résistance’, c’est-à-dire des endroits où l’on va démontrer que l’on peut, à petite échelle, faire les choses différemment » (3).
Entrer en dissidence, désobéir
D’autres, notamment parmi les plus jeunes, font le choix de vivre en marge de la société, pour développer des modes de vie autonomes, estimant que le système est irréformable et qu’il s’effondrera de lui-même. Cette « entrée en dissidence » renvoie alors à « une philosophie de la vie, à un engagement total d’un individu ou d’un groupe qui assume toutes les conséquences matérielles et spirituelles de ses choix » (4).
L’opération, intitulée «Bloquons la République des pollueurs», fait écho aux mobilisations outre-manche du mouvement Extinction Rebellion créé à l’automne dernier. Ce type d’actions érige la désobéissance civile en principe fondateur au nom de principes jugés supérieurs à loi édictée afin d’intensifier la protestation contre l’inaction politique en matière de lutte contre le changement climatique et la disparition des espèces.
L’immobilité comme moyen de lutte
Dans les multiples crises que nous traversons, nous sommes sommés de produire des solutions, de l’innovation, de l’action pour pouvoir transformer le système. Inactifs, nous pouvons être suspectés de ‘complicité avec l’ennemi’. Mais n’avons-nous pas à changer notre propre rapport à l’action ? Il faut bien constater que souvent l’action, tant individuelle et collective, bien plus que résoudre les problèmes, vient ajouter à la complexité, à l’accélération du monde qui contribue à épuiser les hommes et les ressources. Et face à la menace croissante, aux déséquilibres multiples, agir vient accroître les inégalités et les déséquilibres. S’arrêter ne serait-elle pas la première forme de résistance ? Vouloir sauver l’humanité ne répond-il pas au même rêve généreux, mais prométhéen qui relève d’une logique dont la puissance reste toujours le ressort profond ? Une puissance qui a transformé le monde et amélioré nos conditions d’existence comme jamais, mais qui également nous met face à un péril majeur pour l’humanité ?
Certains, comme Jérôme Lèbre, militent pour une résistance statique, pour une lutte immobile dans tous les domaines. Dans son dernier ouvrage (5), il cherche à « redonner du sens à une immobilité nécessaire à la réflexion, dans la continuité de toutes ces immobilités historiques, méditatives ou contestataires, et qui constitue aujourd’hui le meilleur moyen de ‘tenir et de lutter’. L’immobilisation (à ne pas confondre avec immobilisme) permet « des formes de tenues ou de stations, à la fois corporelles et spirituelles, qu’il faut dire libres parce qu’elles rendent possible l’accès au sens : la contemplation, la méditation, la lecture, l’écriture… ouvrant sur une véritable liberté… L’immobilité est accès à la vitesse non mesurable, absolue, de la pensée ou du sens ». (6)
La tentation de la reddition
Certains estimeront que ni la voie de l’action, ni celle de l’immobilité ne sont vraiment concluantes pour nous sortir du péril et ressentent un profond découragement. Nous faisons l’expérience de l’impuissance et de l’insignifiance devant un avenir illisible….ou compromis. Nous nous sentons le jouet d’événements que nous ne pouvons plus maîtriser. Quand bien même nous arriverions à faire la bascule au niveau français, qu’en sera t-il au niveau mondial ? Les efforts des uns étant ruinés par les actions des autres.
Pour Nicolas Hulot, « C’est notre survie qui est en train de se jouer. J’aimerais que les responsables politiques entendent tous les signaux de la société. Qu’ils n’attendent pas, comme pour Notre-Dame, que les flammes soient visibles pour réagir. Le pire poison, c’est la résignation dans laquelle notre société semble glisser, qui risque de se transformer en reddition. » (7)
La première et vraie ‘bascule’ dont découle toutes les autres se vit à l’intérieur de nous- même et s’appelle ‘conversion’. Nous avons à ‘rentrer en nous-mêmes’ et à ouvrir les yeux sur le monde afin de découvrir en nous-même les racines profondes des déséquilibres globaux qui fragilisent les hommes et les sociétés. Quels retournements avons-nous à vivre, quels nouveaux comportements avons-nous à adopter, par quels renoncements devons-nous passer pour exercer notre responsabilité vis-à-vis de « notre soeur la mère La Terre » (Laudato Si’), des générations futures et de nos frères en humanité.
- « Vivre la conversion écologique », Christus n° 262, avril 2019
- « Appel à la guérilla mondiale », Débats publics
- https://www.lexpress.fr/actualite/pour-le-climat-lancons-une-guerilla-de-l-innovation_2069672.html
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Dissidence
- Éloge de l’immobilité, Desclée De Brouwer
- https://iphilo.fr/2018/03/11/contredire-lacceleration-manifeste-pour-une-lutte-immobile-jerome-lebre/
- Libération – 19 avril 2019
- Les Jésuites proposent aux personnes et groupes de s’examiner régulièrement (dans l’esprit de l’examen général des exercices spirituels de Saint Ignace) « to reflect on your personal relationship with creation, to acknowledge and amend your ways and to promote ecological justice by standing in solidarity with those most impacted by environmental harm. http://www.ecologicalexamen.org/?fbclid=IwAR3w0ZhqKG8mDDq4JXzanL0txboUKZKFppRsT3Iyp5Dh6cXVDbhKVxfDQLo#after_section_1.
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Frédéric Rochet, directeur des SSF