En 1992, peu après le Sommet de la Terre(1) , plus de 1700 scientifiques avertissaient de l’affrontement inévitable entre l’humanité et la nature si la première ne changeait pas sa manière de gérer la seconde. Les leçons du bilan fait 25 ans après laissent encore un espoir d’éviter “le grand effondrement”, mais le temps presse et c’est l’affaire de tous, ou plutôt la responsabilité de tous.
Fin 1992, l’Union of Concerned Scientists, (Union des scientifiques inquiets) et 1.700 prix Nobel, professeurs et chercheurs lançaient, un “Avertissement à l’humanité” où, reprenant plusieurs des thèmes discutés à Rio, ils prévenaient que faute de changer nos pratiques actuelles « le monde du vivant serait tellement altéré qu’il serait impossible … d’éviter de grandes misères humaines et que notre maison commune ne soit irrémédiablement mutilée(2)» . Plus d’un quart de siècle après, le bilan des efforts accomplis est au mieux modeste. Tirons quelques leçons des actions menées dans trois domaines, la couche d’ozone, le climat et la biodiversité.
« Un succès. La couche d’ozone, indispensable pour filtrer le rayonnement ultra-violet émis par le soleil – cause de cancer et de dégénérescence de l’ADN -, se reconstitue au rythme de 0,8% par an et le trou qui s’était formé au dessus de l’antarctique devrait être résorbé d’ici 2080(3) . Ce succès est dû à l’application du Protocole de Montréal, 1987, qui interdit la production et l’usage de substances appauvrissant la couche d’ozone. »
Un effort très insuffisant. La Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) a été adoptée lors de la Conférence de Rio alors que la majorité des pays craignaient que les préoccupations environnementales ne remettent en cause les objectifs de croissance et de développement. Cela explique qu’elle n’ait fixé qu’un objectif vague « stabiliser les émissions des gaz à effet de serre (GES) … à un niveau qui empêche toute perturbation … dangereuse du système climatique » et que les mesures à prendre aient été laissées à l’initiative des pays. Certes, la Conférence des Parties, la COP, a fait chaque année le point des efforts et des émissions et chacun a entendu parler de COP21. Mais, entre 1992 et 2019, les émissions de GES ont augmenté de plus de 55%, les gouvernements sont passé d’une logique de ce qui devrait être fait à une logique de ce que les pays sont prêts à faire(4), les citoyens des pays riches n’ont guère changé leurs habitudes et leur modèle de consommation est imité par ceux des pays émergeants dont les revenus augmentent.
« Adieu poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles : 66% des vertébrés ont disparu en 44 ans »
Un défi tardivement reconnu. La Convention sur la diversité biologique, CDB, adoptée dans les mêmes conditions que la CCNUCC, a pour objet « la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de 1’exploitation des ressources génétiques ». Objectif ambitieux et complexe au carrefour de la conservation, de l’économie et de la solidarité dont le grand public n’a commencé à saisir la nécessité qu’en constatant la quasi disparition des insectes écrasés sur les pare-brises, en apprenant la baisse de l’espérance de vie des humains dans nombres de pays ou en ayant le regard accroché par des titres chocs dans la presse comme : « Adieu poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles : 66% des vertébrés ont disparu en 44 ans(5)».
La disparition de la couche d’ozone avait une cause claire et présentait un risque, compris de tous et que l’on pouvait supprimer facilement. Les gouvernements ont fait respecter le protocole de Montréal, seul accord vraiment “universel” des Nations Unies puisque ratifié par l’ensemble des pays du monde.
Les deux conventions, celle sur le climat et celle sur la biodiversité, ont des objectifs clairs sur lesquels chacun s’accorde. Mais, les mesures à prendre couvrent des domaines très divers : réduction de l’usage des combustibles fossiles, des pesticides, des pollutions ; arrêt des déforestations, de la surpêche, de la chasse aux grands mammifères, de la croissance démographique ; isolation des logements, transformation de l’agriculture, des habitudes de consommation, des modes de transport…
Mesures qui ont des coûts politiques réels ou redoutés et surtout des coûts humains. Les coûts politiques peuvent être surmontés si la société civile exerce de fortes pressions. Ainsi, les marches pour le climat peuvent-elles décider les gouvernements à prendre des mesures réelles pour limiter les émissions de GES. Les coûts humains quant à eux ne sont acceptables que si les mesures sont prises dans le respect des droits de l’homme et conduites avec équité et solidarité.
« on ne saura qu’à la fin du siècle si l’on a réussi à contenir le réchauffement »
Toutes ces mesures doivent être conduites avec persévérance et, pour susciter une adhésion massive et durable, elles doivent montrer des résultats. De ce point de vue, il est regrettable que la lutte pour le climat ait primé sur celle pour la biodiversité. Elles sont toutes deux essentielles, mais l’on ne saura qu’à la fin du siècle si l’on a réussi à contenir le réchauffement, tandis que l’on peut très vite voir des populations d’insectes et d’oiseaux se reconstituer comme on a vu les coquelicots refleurir dans les terres laissées en friche si les opinions publiques sont informées des enjeux de survie et si les gouvernements prennent en concertation avec elles des mesures vigoureuses.
- Sommet de la terre est le nom donné à la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, à l’initiative de son président Maurice STRONG. Il s’est tenu à Rio de Janeiro en juin 1992,
- Voir sur Internet World Scientist’s Warning to Humanity
- Sylvie ROUAT, Bonne nouvelle : le trou de la couche d’ozone diminue, www.scienceetavenir.fr
- Hervé LEFEBVRE, chef du service Climat de l’ADEME parlant de l’évolution depuis la COP21
- Coralie SCHAUB, Libération, 30 octobre 2018
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Yves Berthelot, rédacteur des SSF