De plus en plus le plaidoyer environnementaliste prend la forme d’une injonction. Cela commence souvent par une série de prévisions graves et inquiétantes, se poursuit par la nécessité d’un changement général des comportements individuels, lesquels n’étant pas suffisants doivent être complétés par des lois contraignantes au plan national et mondial. Récemment le ton de l’injonction s’est fait subtil : si nous ne consentions pas volontairement à ces changements, alors nous devrions les subir sous une forme dictatoriale. Je m’en tiendrai ici à la forme la plus simple de ces injonctions telle qu’elle s’est exprimée par la voix de Greta Thunberg s’adressant au gotha du forum de Davos «Ecoutez les scientifiques».
« Je suis moi aussi convaincu des graves dangers que court notre planète et loin de moi l’idée de contester que des changements profonds de « notre modèle de développement » ne soient en jeu. »
J’ai eu l’occasion d’en prendre conscience déjà lorsque j’exerçais pour le compte de la Commission européenne, soit il y a une vingtaine d’années, le métier de prospectiviste. Cette expérience et plus prosaïquement l’humble travail de la projection à moyen terme et de la construction de scénarios me font penser qu’en démocratie, pas plus qu’il ne faut confier les rênes aux juges, il ne faut s’en remettre aux seuls scientifiques pour décider du destin commun. Si l’on écoute attentivement ces derniers, on voit que leur discours se précise de plus en plus lorsqu’il s’agit des constats et de l’estimation des tendances, mais qu’il reste entaché d’incertitudes concernant l’effet des mesures à prendre : à quels délais et au prix de quels effets secondaires ? L’incertitude devient très grande lorsque les mesures envisagées s’additionnent et parfois se contredisent.
Seule la délibération politique peut nous permettre de choisir, dans un avenir incertain, entre diverses réponses aux défis environnementaux. Elle seule permet de forger des compromis entre des exigences contradictoires. Lutter contre les inégalités ne conduit pas ipso facto à réduire les émissions de gaz de l’effet de serre ; renoncer à user de pesticides n’a pas que des effets sociaux désirables; abandonner la filière diésel au profit de l’électrique peut s’accomplir de manière catastrophique pour l‘emploi. Il serait dramatique que sous couvert d’urgence nous renoncions à l’intelligence.
« La transition écologique ne s’accomplira pas selon un schéma téléologique où un futur désiré hypothétique devrait s’imposer de façon mécanique à nos comportements d’aujourd’hui. »
Il y a dix ans environ, les Semaine sociales abordaient la question du changement climatique et de la transformation des modes de développement qu’il impliquait[1] . On comprenait à l’époque que le développement durable, au-delà d’une attention prioritaire portée aux ressources naturelles communes, était aussi synonyme d’un approfondissement de la démocratie : non seulement plus participative, mais aussi plus soucieuse d’une intelligence partagée des défis à résoudre. Ce point reste capital. La transition écologique ne s’accomplira pas selon un schéma téléologique où un futur désiré hypothétique devrait s’imposer de façon mécanique à nos comportements d’aujourd’hui. Elle gagnera à prendre au sérieux ce que les économistes appellent les conditions de départ, les contextes propres aux différentes conditions professionnelles et sociales pour engendrer une trajectoire intelligible par le plus grand nombre. L’intelligibilité et l’acceptabilité restent les maîtres mots de la transformation sociale.
Les catholiques et les chrétiens en général constituent culturellement un vivier sensible aux nécessités d’un changement de notre mode de vie. Ils consonnent avec les exigences d’une certaine radicalité des choix. Cela ne devrait pas les inciter à se lancer dans de nouvelles croisades, fermées à la discussion. L’encyclique Laudato Si qui donne un élan nouveau à une écologie intégrale ne devrait pas servir d’abri à une nouvelle forme d’intégrisme. Elle commence et s’achève par l’obligation du dialogue.
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- « Vivre autrement pour un développement durable et solidaire». Session 2007 des Semaines sociales de France.
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Jérôme Vignon, rédacteur des SSF