Soyons artisans de l’Europe

Les élections européennes de 2019 ne peuvent se réduire à un débat sur la gestion des migrations. Il en va de notre avenir et de celui de nos enfants qu’elles soient l’occasion du choix de l’Europe que nous voulons. Soyons les artisans de cette Europe.

En 1951, Jules Michelet écrivait, sur fond des partages successifs de la Pologne entre la Prusse, la Russie et l’Autriche, « L’Europe n’est point un assemblage fortuit, une simple juxtaposition de peuples, c’est un grand instrument harmonique, une lyre, dont chaque nationalité est une corde et représente un ton… Chacune est nécessaire en elle même et par rapport aux autres »[1]. On pourrait dire aujourd’hui qu’il célébrait l’unité de l’Europe dans sa diversité. En 1932, Stefan Zweig déplorait ce « devoir de haine »[2] qu’exaltaient nombre de discours et d’écrits qui, dans chaque pays, stigmatisaient les autres nations, les autres peuples d’Europe, annonçant ainsi la guerre de 1939.

Depuis 1945, il n’y a plus eu de guerre entre les pays qui forment aujourd’hui l’Union européenne, ni de discours de haine, mais, au contraire, s’est instaurée l’habitude de vivre ensemble. Cette habitude s’est construite grâce aux quatorze institutions créées[3] et aux droits, traités, directives, politiques, normes et projets qu’elles ont adoptés et qui ont permis que se tissent de multiples liens entre personnes, entreprises, chercheurs, communes, villes, administrations régionales et nationales des divers pays membres.

C’est un acquis remarquable : l’Europe n’est plus seulement un vœux, elle existe. Et comme tout projet de cette ampleur et qui rassemble, elle doit évoluer et continuer de se construire pour répondre aux attentes des peuples qui la constituent et aux transformations du monde.

D’où l’importance de l’élection des députés au Parlement européen, d’autant que le Parlement a progressivement renforcé ses pouvoirs législatifs, budgétaires et de contrôle depuis 1979[4] et que l’élection est la seule occasion qu’a l’ensemble des citoyens européens d’avoir une influence sur la politique de l’Union[5].

Sur les politiques en cours, on peut souhaiter une application moins dogmatique de l’ouverture des frontières afin de mettre fin à la concurrence déloyale de pays qui ne respectent pas les règles et les normes internationales, une Politique agricole commune plus favorable aux petites exploitations et au développement d’une agriculture écologique, une harmonisation des politiques sociales pour renforcer la confiance populaire dans l’action de l’Union et des politiques fiscales pour plus de justice. Est immédiatement nécessaire une politique migratoire commune réaliste qui respecte les engagements internationaux pris et la dignité des êtres humains que sont migrants et réfugiés, qui marque la solidarité entre les pays membres pour éviter que les migrations ne deviennent une cause de fracture de l’Europe.

Le monde qui se dessine pose des problèmes plus fondamentaux à l’Union européenne. Le monde bascule ; l’Europe n’est plus le centre du monde. Le commerce interrégional, les investissements étrangers et la recherche se développent plus vite et sont maintenant plus importants dans la zone Pacifique que dans la zone Atlantique. Obama avait commencé d’en tirer les conséquences et Trump suit avec la menace de ne plus porter la charge de l’OTAN si les Européens n’en prennent pas une plus grande part. Des pays se dégagent des engagements qui ne leur conviennent plus : Brexit, retrait des Etats Unis de l’accord de Paris, de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, de l’UNESCO et curieusement du Traité Trans-Pacifique. Des alliances se nouent au cas par cas, comme celle entre Erdogan, Poutine et Rohani, que tout sépare, autour de la Syrie, et selon Fiodor Loukianov cela va s’accentuer[6].

Ce n’est pas l’annonce de la catastrophe. C’est l’annonce qu’il nous faut élire un Parlement qui veuille une défense collective plus autonome et qui soit convaincu que les deux forces de l’Europe sont l’unité dans la diversité et « l’attractivité de (ses) valeurs » : la démocratie, les droits de l’homme, le goût du travail, la solidarité, l’attachement au multilatéralisme et, de plus en plus, le respect de l’environnement.

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Par Yves Berthelot, rédacteur des SSF

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[1]  Jules MICHELET, Pologne et Russie, ch. II « On ne tue pas une nation », Paris, 1851[2]  Stefan ZWEIG, « La désintoxication morale de l’Europe », discours pour le congrès sur l’Europe prononcé à Rome en 1932, Appels aux Européens, p.74, inédit préface de Jacques Le Rider, éd. Bartillat, Paris 2018[3]  Le Parlement européen (1952), la Commission européenne (1958) et le Conseil européen (1974) exercent les pouvoirs législatif et exécutif. Parmi les autres institutions, mentionnons la Banque européenne d’investissement (1958), la Banque centrale européenne (1998) qui gère l’Euro et la politique monétaire de l’Union, le Comité économique et social (1957) où sont représentées les organisations de travailleurs et d’employeurs, le Comité européen des régions (1994) où se retrouvent des représentants des autorités locales et régionales.[4]  1979, date à laquelle les députés au Parlement européen ont été élus au suffrage universel[5]  Le Traité de Lisbonne a créé la possibilité des initiatives citoyennes auxquelles la Commission peut décider de répondre par une disposition législative. Pour être prise en compte l’initiative doit rassembler 1 million de signatures venant d’un quart des pays membres[6]  Voir le très intéressant article de FIodor Toukianov, « Les cartes ont été redistribuées », Courrier International (No 1462) du 8 au 14 novembre 2018[7]  Enrico Letta, Faire l’Europe dans un monde de brutes, Fayard, Paris 2018, p. 84

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