Quel multilatéralisme demain ?

Comment le multilatéralisme de la seconde moitié du siècle dernier, remis en cause par l’évolution des rapports de force économiques et politiques, va-t-il se reconstruire ?

Après la meurtrière Guerre de 30 ans, la Paix de Westphalie, 1648, est le fruit d’une longue négociation entre les parties au conflit et non le résultat de « la loi du plus fort » ; la Convention télégraphique internationale, 1865, régule les échanges télégraphiques entre ressortissants des pays membres dans un souci d’efficacité et pour éviter une concurrence anarchique. Ce sont les deux premiers accords multilatéraux qui illustrent l’idée, a priori simple et de bon sens, que pour éviter les conflits et faciliter les échanges il vaut mieux, par des négociations, s’accorder entre tous les Etats intéressés sur des principes, des solutions et des règles et développer des coopérations.

« Pour négocier ces accords multilatéraux et suivre leur mise en œuvre, il est besoin d’institutions. »

Les instituions onusiennes se sont développées dans l’immédiat après guerre et bien d’autres, mondiales ou régionales, publiques ou privées, qui se sont constituées en fonction des besoins, ont façonné non seulement les relations internationales mais encore le cadre de vie de la plupart des pays puisque les lois nationales doivent être rendues cohérentes avec les engagements internationaux pris. Ceci a d’ailleurs amené des pays à ne pas ratifier certaines conventions qu’ils avaient signées.

Ainsi, toutes les nations ont en commun des principes, des droits et des devoirs, des règles, des normes et un ensemble d’institutions pour les faire vivre. Des résultats magnifiques ont été obtenus : observateurs et casques bleus évitant la reprise des combats après un cessez-le-feu ; droits de l’homme ; diminution de la faim et de l’extrême pauvreté ; maîtrise des épidémies[1]….

Ce bel édifice est fragile parce que les Etats ne respectent pas toujours les engagements qu’ils ont pris et, surtout, parce que l’ordre établi est remis en question.

Sur le premier point, notons l’aide que les institutions internationales et les ONG apportent aux Etats et les rappels qu’ils adressent aux autorités pour qu’elles respectent les accords. Quant aux remises en cause, elles viennent tant des gouvernements qui n’ont plus la même vision du système multilatéral qu’ils souhaitent que de la société civile qui veut remédier aux inégalités que le système a créées selon elles.

Les Etats Unis, qui ont joué un rôle central dans la création de l’ONU, considèrent malgré tout « qu’il n’y a rien au-dessus de la Constitution de 1787 et que le droit international ne peut se substituer au droit national[2] » . Ils utilisent les institutions internationales quand elles peuvent servir leur intérêt, les ignorent, les attaquent ou les quittent si elles les gênent. Donald TRUMP poursuit cette politique de façon plus brutale Ce faisant, il affaiblit le système multilatéral en ne proposant comme alternative que de multiplier les accords bilatéraux, ce qui est un retour à la loi du plus fort.

À l’inverse, la Chine joue le jeu du multilatéralisme, mais pour le transformer en étant très active dans les secrétariats et en créant de nouvelles institutions régionales qu’elle contrôle. Ainsi, à l’ONU, s’attaque-t-elle aux droits de l’homme, par exemple en s’opposant à l’accréditation au Conseil économique et social des ONG qui défendent trop rigoureusement ces droits. Elle a créé avec la Russie l’Organisation de Coopération de Shanghai, OCS, qui traite de sécurité et d‘opérations économiques dans la région et veille à y limiter l’influence occidentale. Elle a aussi créé la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures que certains voient comme une concurrente régionale de la Banque Mondiale, du FMI et de la Banque asiatique de développement.

L’Union Européenne est à l’heure des choix.

Elle a longtemps maintenu un équilibre entre la promotion de ses valeurs et ses intérêts commerciaux. Peut-elle renoncer à « cette vocation prosélyte (qui) semble lui être consubstantielle, depuis Saint Paul » et « accepter que le respect des droits de l’homme, tout comme la démocratisation viendront d’abord de l’intérieur » comme le dit Hubert VEDRINE[3] ? Ou bien, est-il « possible de réguler l’économie et les échanges à partir du respect des droits ; des droits civils et politiques autant que des droits économiques, sociaux et culturels » et ceux des générations futures comme le propose Gustave MASSIAH[4] ? Quel que soit son choix, l’influence de l’Europe dans le monde dépendra de son unité, de son autonomie militaire, de sa puissance productive et de sa capacité à faire vivre harmonieusement ensemble des peuples très divers.

Il est certain que la participation des organisations de la société civile, (ONG, associations, syndicats) au débat d’idées et au débat politique comptera pour que le système multilatéral en gestation soit « économiquement efficace, écologiquement soutenable, socialement équitable, démocratiquement fondé, géopolitiquement acceptable, culturellement diversifié[5] » et moteur de coopérations pour surmonter les défis qui vont se poser à la communauté mondiale et aux communautés régionales.

  1. Voir Yves BERTHELOT et Michel JAKOBOWICZ L’ONU pour les nuls, Editions First, Paris 2010, 433p. Rechercher aussi sur INTERNET « L’ONU dans la vie de tous les jours ».
  2. Olivier TALLÈS, La Croix, 12 septembre 2008
  3. Hubert Védrine, interview parue dans Le Temps du 24 mai 2007 à propos de son livre «Continuer l’histoire» Ed. Fayard 2007
  4. Gustave MASSIAH, La réforme de l’ONU et le mouvement altermondialiste, dans le livre du CETIM, L’ONU Droits pour tous ou droit du plus fort, Genève 2004. G. MASSIAH était alors Président du CRID et vice président d’ATTAC-France.
  5. Gustave MASSIAH, ibidem,

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Yves Berthelot, rédacteur des SSF

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