Fin de vie : lettre ouverte aux députés et sénateurs 04.06.2024
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Jean-Pierre Sueur : Dans ce pays, la décentralisation a abouti à une très grande complexité et à une dilution des reponsabilités, elle a trop souvent abouti à une confusion des pouvoirs au lieu d’une séparation des pouvoirs et d’une distinction des compétences. Il existe un dysfonctionnement : les départements sont chargés de l’action sociale, de la prévention de la délinquance et l’insertion (incluant par exemple le RMI). Or dans la plupart des départements de France, exception faite des départements urbains, les élus représentent majoritairement des cantons ruraux. On ne peut pas reprocher à un élu de raisonner en fonction de ses électeurs, mais cela a pour conséqunences que dans la plupart des départements, les moyens affectés aux quartiers urbains en difficulté sont insuffisants. C’est une question qui touche à la structure de nos collectivités locales.
Les politiques prennent des décisions mais les représentants du monde urbain en difficulté sont très minoritaires. Les départements représentent peu ces zones, les régions également, car jusqu’ici les conseillers régionaux étaient élus sur une base départementale. Les députés, à l’exception de quelques-uns comme Pierre Cardo, qui sont esentiellement des députés de l’urbain et de la banlieue, représentent souvent une circonscription mi-urbaine, mi-rurale. Ils se sentent donc tous plus ou moins des ruraux. Je ne parle pas du Sénat, qui est la représentation inverse de la France urbaine. Nos institutions politiques n’ont pas pris en compte la révolution urbaine. Or 80 % des gens vivent dans les villes. Et dans les Conseils municipaux des grandes villes, malheureusement, il y a moins d’élus représentatifs des quartiers en difficulté que d’élus des autres quartiers. Si l’on veut affecter plus de moyens aux quartiers qui vont mal, il faut que ceux-ci soient plus représentés politiquement. C’est en fait un problème de démocratie.
Pierre Cardo : Je voudrais fournir une autre explication. La fonction sociale a toujours été, jusqu’à ces dernières années, une fonction secondaire. Le maire s’occupait en général de l’urbanisme, des finances, etc, c’est-à-dire des fonctions appelées « nobles ». Et l’on confiait les œuvres sociales à une dame. J’exagère quelque peu, mais il est vrai que le social était une fonction secondaire. Il est devenu un problème extrêmement prégnant. Or la personne qui devient conseiller général, puis député, puis sénateur, puis ministre, c’est le maire, et non l’adjointe au social. Ce n’est donc pas seulement la représentativité des quartiers au sein de la politique qui pose des problèmes, mais aussi la représentation du social. J’ai été un des rares à m’occuper essentiellement de l’aspect humain.
Michel Bourgat : L’état d’esprit est essentiel. Nous avons réussi à instaurer un bon état d’esprit entre un Conseil Général qui est à gauche, le Conseil Régional, et une municipalité qui est à droite. Tout cela fonctionne très bien parce que nous sommes au-delà du clivage politique. En particulier, nous avons fait en sorte à Marseille qu’un élu, qui est un élu d’opposition pour nous, soit notre correspondant au Conseil Général. Le travail en transversalité est essentiel pour la prévention et la sécurité. Et pour la première fois des lois qui favorisent le travail en transversalité viennent d’être agréées. Je pense qu’ainsi vont apparaître des dysfonctionnements qui sont des évidences pour les acteurs de terrain, mais pas pour les gens qui se trouvent au sommet hiérarchique d’une des branches parallèles.
Jean-Pierre Sueur : Je ne suis pas d’accord avec l’idée d’une décentralisation de la sécurité. C’est un des gros problèmes que me pose le texte de réforme constitutionnelle : quand on dit que « chaque collectivité a vocation à exercer les compétences qu’elle peut exercer le mieux », cela implique qu’une collectivité puisse dire qu’elle s’estime compétente pour assurer sa propre sécurité et plus efficace en ce domaine que l’Etat. Cela peut nous entraîner dans une voie à mon sens extrêmement dangereuse : dans la mesure où il y a une grande disparité financière entre les collectivités, certaines pourraient se payer une police de qualité, d’autres non. Je pense qu’il faut décentraliser beaucoup de choses, mais je reste très attaché à la police nationale et républicaine.
Quant au redéploiement des effectifs de la police, le problème est le même que pour les enseignants dans les ZEP. Les enseignants vont dans les collèges difficiles au début de leur carrière, car un système de barème les garantit d’un retour dans un établissement de « moindre » qualité une fois qu’ils exercent leur métier dans un « bon » établissement. Dans le cas de la police, certains fonctionnaires refusent à un certain stade de leur carrière de retourner en banlieue. Il est vrai que c’est un métier très difficile. Je crois qu’on ne peut avancer sur ces questions que par un dialogue approfondi avec les représentants des personnels concernés et en se donnant les moyens nécessaires.
Pierre Cardo : C’est un problème que nous connaissons à Chanteloup. Je crois qu’un dispositif va être mis en œuvre sur trois ans, mais je regrette que le débat qui a eu lieu il y a cinq ans sur la création des emplois-jeunes ait été mal conduit et qu’au terme des cinq ans nous nous retrouvions devant ces difficultés. Il y a aussi le problème des contrats pour adultes : on ne peut se contenter de dispositifs conçus pour les jeunes. Si l’on veut redonner aux adultes leur place en tant que parents et leur place dans la cité, il faut qu’existent des contrats qui leur soient adaptés, notamment pour les personnes qui n’ont pas de qualifications mais qui ont des aptitudes.
Du reste, je ne suis pas sûr que les municipalités doivent tout financer, même s’il est normal qu’elles participent. Je trouve anormal, par exemple, que dans l’Education Nationale on aille chercher l’argent des emplois-jeunes du Ministère du Travail pour financer des emplois nécessaires à l’Education National. Des contrats sont à créer dans chaque institution.
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