Repenser l’accompagnement de nos aînés

« J’ai bientôt 65 ans et j’ai personnellement accompagné trois personnes âgées de ma famille jusqu’au bout, mais je sais que, alors que mes enfants et petits-enfants sont extraordinaires, ils ne le feront pas pour nous ».

Ces mots sont ceux de Michèle, reçus quelques jours après la parution dans la presse le 14 avril d’une tribune en faveur de la recherche d’alternatives aux Ehpad(1) et dans laquelle je dénonçais le drame vécu, pour la deuxième fois en moins de 20 ans, par tant de nos aînés placés, confinés et finalement piégés dans ces institutions incapables de gérer canicules et virus.

Jusqu’à un tiers des résidents décédés dans certains établissements.

Un bilan qui s’alourdit de jour en jour avec déjà plus de Un bilan qui s’alourdit de jour en jour avec déjà 12.521 décès comptabilisés au 7 mai (9.405 résidents d’Ehpad décédés au sein des établissements et 3.116 à hôpital soit près de 50% du total des décès en France établi à 25.561 à la même date)Des familles blessées et révoltées de n’avoir pu accompagner dignement leur parent du fait, dans bien des cas, d’un confinement aveugle. Des personnels et bénévoles d’association désespérés. L’échec et l’inhumanité de ces lieux de vie, vendus comme protecteurs et s’avérant de redoutables pièges, sont une nouvelle fois flagrants.

« Le temps est venu de rompre avec ce modèle d’apartheid biologique et social »

Cette nouvelle tragédie appelle un sursaut car une société qui laisse ainsi mourir ses anciens n’a pas d’avenir. Elle n’est pas seulement une crise globale ou environnementale. Elle est aussi une crise anthropologique. Certes les Ehpad semblent aujourd’hui s’imposer sur le plan culturel comme le seul lieu pour finir sa vie, notamment en France où le nombre de personnes placées au sein de ces institutions est supérieur à la moyenne européenne. Le temps est venu de rompre avec ce modèle d’apartheid biologique et social en développant d’urgence des alternatives telles que les habitats de vie partagés et l’assistance/hospitalisation à domicile. Rien de possible sans l’activation de réseaux créatifs de solidarité et de proximité, liant à l’échelle d’un quartier, d’une rue, d’un immeuble, familles, amis, voisins, concierges et commerçants. Rien de tenable non plus sans un engagement volontariste de l’Etat et donc un changement de paradigme nécessitant un large soutien dans la société.

Des nouveaux gestes de solidarité peuvent naître et se diffuser. Ils existent déjà, comme le montrent le foisonnement d’initiatives de ces jours et dont les media et réseaux sociaux se font les relais. Je ne témoignerai ici que de l’engagement des Jeunes pour la Paix de Sant’Egidio, sur le pont depuis des semaines pour maintenir coûte que coûte les liens avec leurs amis âgés visités avant la crise dans de nombreux Ehpad et à domicile : permanence téléphonique, envois de lettres, de messages vidéo(2) ou de chocolats, groupe de travail par visioconférence pour réfléchir, en France et en Europe, aux alternatives aux maisons de retraite.

« Soyons réalistes, demandons l’impossible » proclamait un slogan de 1968. L’histoire est pleine de surprises. Que de batailles irréalistes, pensons à l’impossible abolition de la peine de mort, gagnées en dépit de certitudes profondément ancrées dans la société d’alors. « Chaque fois que nous cherchons à lire les signes des temps dans la réalité actuelle, il est opportun d’écouter les jeunes et les personnes âgées. Les deux sont l’espérance des peuples » écrivait le pape François au début de son pontificat dans son exhortation apostolique La Joie de l’Evangile. Oui, écoutons l’appel au secours de nos aînés et écoutons les jeunes qui rêvent aujourd’hui de refaire notre société.

  1. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/ehpad-fermes-a-clef-a-l-exterieur-le-dechirement-a-l-interieur-l-angoisse-20200413
  2. http://www.santegidio.fr

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Valérie Régnier, Responsable Sant’Egidio-France et administratrice SSF

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