Nous voici dessaisis de nos certitudes, de ces acquis fournis par les progrès des Sciences de la Vie, nos inventions, nos techniques qui nous mettaient, peu à peu, à l’abri de l’incertain et repoussaient la mort vers l’extrême vieillesse. Or l’inconnu survient abrégeant les vies comme au hasard, avec un tropisme plus marqué vers ceux-là qui escomptaient encore un sursis de quelques années. Nous constatons seulement que cet inconnu, vite dénommé, est très contagieux et se transmet préférentiellement par ces gestes de sociabilité, d’affection que nous chérissons : se toucher , se parler en vis-à-vis ou à l’oreille, se saisir en embrassade.
Mais pour le reste, prévention vaccinale, traitements, capacité d’une immunité durable , nous sommes autant démunis que nos ainés des siècles passés lors d’épidémies de peste ou de choléra.
Et les comportements ancestraux de défiance resurgissent, avec ces rejets de l’étranger, du voyageur, voire de celui dont on suppose qu’il est en contact avec des malades ou des objets les ayant touchés. La défiance à l’égard des gouvernants, supportant l’accusation de ne pas assumer la mission régalienne de l’Etat de nous protéger, entraine le doute sur les messages qu’ils émettent. Ces messages sont d’abord politiques, fruits d’arbitrages entre les paroles d’experts venus de multiples disciplines qui, chacune pour sa partie, observe l’impact de cet inconnu sur notre société.
L’érosion de ces acquis, véritables acquêts de nos communautés de vie, entraine celle des cadres hiérarchisés qu’ils avaient induits, entre pays, entre personnes. De chacun, de chacune de ces milliards d’individus nous dépendons pour notre santé. Les actes de prévention auxquels je peux adhérer, ne sont pas seulement pour moi, mais pour la collectivité où je vis. Chacun de nous est un chainon d’une immense chaine de vie, où il n’y a ni premier ni dernier, mais un être reconnu irremplaçable. La certitude de l’efficacité des actions en santé permettant la vie de notre société n’est plus fondée sur la technique mais sur notre capacité de confiance en l’autre, reconnu unique. L’appel au respect des « gestes barrière » n’est plus signe de défiance mais de fraternité ; malgré sa tonalité « sanitaire » c’est bien un message politique.
La confiance en l’autre est le roc sur lequel doit se construire notre société si elle se veut durable.
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Mathieu Monconduit, médecin à la tête du groupe Santé des SSF