La bioéthique, nouvelle question sociale

Tous les mois, retrouvez Pierre-Yves Stucki et sa chronique sur la pensée sociale chrétienne et l’actualité, au micro de Paul Keil sur RCF Jerico Moselle.

Le 18 janvier se sont ouverts les « États-généraux de la bioéthique » : plusieurs mois de consultation et de débat pour « recueillir de la façon la plus objective possible l’ensemble des avis de la société » sur les grands thèmes de bioéthique, dans la perspective d’une révision de la loi en fin d’année.

Cette démarche suscite un intérêt marqué chez les chrétiens, sensibles à ces questions. La Conférences des évêques de France a ainsi invité les catholiques, et tous les hommes de bonne volonté, à prendre part à ces débats. De nombreuses initiatives sont proposées en diocèses et les médias chrétiens ne sont pas en reste.

Mais si les chrétiens semblent prêts à « jouer le jeu » de cette consultation, ce n’est pas non plus le grand enthousiasme. Il y a comme un malaise. Certains se demandent, non sans certaines raisons, si les dés ne sont pas pipés, si tout cela n’est pas cousu de fil blanc, la fin de l’histoire étant déjà écrite depuis longtemps. Ils s’inquiètent aussi que leur parole soit devenue inaudible dans une société ayant décroché de toute référence chrétienne bien plus profondément qu’on ne le pensait. Cela n’empêche pas d’autres de s’y engager sans complexe, dans une posture de témoignage, avec l’idée que « je suis chargé de vous le dire, pas de vous le faire croire », en se rappelant que le Christ n’a jamais promis la popularité à ses disciples.

Le chemin est ténu entre le laisser-faire et le baroud d’honneur. Entre la tentation du découragement et celle du jusqu’au-boutisme. La position des chrétiens dans cette affaire est difficile : il y a une doctrine sur ces questions, et c’est souvent sur ces questions qu’elle apparaît le plus nettement comme « un signe en butte à la contradiction ».

Alors que faire ?

Sans doute, s’engager résolument dans cette démarche. Sans se bercer trop d’illusions, bien sûr, mais déserter la table n’aidera certainement pas à faire entendre notre voix. Se reconnaître minoritaire ne doit pas conduire au silence, bien au contraire.

Accepter aussi la diversité de nos engagements. Puissions-nous en finir un jour avec ces accusations mutuelles assez perfides entre chrétiens de sensibilités différentes : de ne pas en faire assez ou à l’inverse d’en faire trop, ou encore ne pas s’y prendre comme il faut… Après tout, si certains préfèrent manifester en nombre et d’autres préfèrent l’action plus discrète auprès des parlementaires, il faut plutôt se réjouir de cette diversité.

Quelle que soit la forme de l’engagement, il me semble important dans tous les cas de ne pas aborder ces débats avec l’état d’esprit de défenseurs d’une citadelle assiégée. C’est-à-dire en se laissant enfermer dans le rôle de ceux qui disent toujours non et dont la seule contribution au débat serait de rappeler des interdits.

Non seulement cela engendre l’amertume et nous expose, dans la durée, au risque de l’incohérence, mais il y a une raison peut-être plus importante, s’agissant ici, de doctrine sociale de l’Église. La bioéthique est en effet devenue une nouvelle « question sociale », en raison du développement des biotechnologies qui contribuent à façonner une certaine conception de l’homme et de la société.

Or, la pensée sociale chrétienne n’est pas un bloc de marbre. Si ses principes sont clairs, la confrontation de ces principes avec les réalités du monde, sans cesse nouvelles, peut conduire à des ajustements dans leur interprétation et leur application. En nous engageant dans ces débats, sommes-nous prêts à interroger certains points de la doctrine actuelle sur les questions bioéthique ?

Je voudrais illustrer cela par un exemple concret. Celui de l’IAC, l’insémination artificielle intra-utérine avec le sperme du conjoint. C’est une technique de procréation assistée. La raison majoritairement invoquée par les chrétiens opposés à l’extension de la PMA aux couples de femmes homosexuelles, c’est qu’elle prive l’enfant du droit d’avoir un père et une mère. Or dans le cas de l’IAC, il y a bien un père et une mère. Il n’y aurait donc aucun problème. Eh bien si ! Donum Vitae, l’instruction de la Congrégation pour la doctrine de la foi, a réaffirmé en 1987 que même dans le cadre conjugal entre une homme et une femme, même dans le cas où il n’y a aucune destruction d’embryon, « l’insémination artificielle substituant l’acte conjugal est proscrite ». Sur ce point-là précis, par exemple, ne pourrait-on pas envisager un ajustement ?

Ce n’est pas une question de stratégie. Il se s’agit pas de renier nos principes en lâchant du lest sur un point pour espérer être plus audible sur le reste. Mais plus fondamentalement, de nous réinterroger sur la manière la plus juste d’apprécier « le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation » pour les couples confrontés à la stérilité.

Si les évêques nous invitent à entrer dans le dialogue, à quels déplacements sommes-nous prêts ? Si nous excluons d’office tout changement, alors ce n’est pas un dialogue mais un bras de fer que nous entamons – et il faudrait être optimiste jusqu’à l’aveuglement pour nous croire en position de force. Mais il ne s’agit pas ici de montrer ses muscles, mais, aussi, de nous mettre à l’écoute de que l’Esprit peut nous dire dans ce dialogue. Comme l’écrivait le pape François, « le christianisme lui-même, en se maintenant fidèle à son identité et au trésor de vérité qu’il a reçu de Jésus-Christ, se repense toujours et se ré exprime dans le dialogue avec les nouvelles situations historiques, laissant apparaître ainsi son éternelle nouveauté. »

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Par Pierre-Yves Stucki,  rédacteur des SSF

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