Fin de vie : lettre ouverte aux députés et sénateurs 04.06.2024
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Dossier Rencontres anuelles
Dimanche 25 novembre 2001
Fête du Christ, Roi de l’Univers
1re lecture: livre d’Ézéchiel (37,1-14)
2e lecture: épître aux Colossiens (1,12-20)
évangile selon saint Luc (23,35-43)
Frères et sœurs,
Depuis les ossements desséchés qui reprennent vie et donnent espoir à tout un peuple, jusqu’aux portes du paradis qui s’ouvrent pour un condamné crucifié aux côtés de Jésus, dont la vie corporelle s’en va, ces lectures sont un bel évangile de la vie.
Dans les différentes années du cycle liturgique, l’Église nous propose, pour la fête du « Christ, Roi de l’Univers », trois évangiles afin de nous aider à mieux comprendre cette royauté. En les lisant, nous découvrons qu’il s’agit d’une royauté à la fois des « mains », de l’esprit et du cœur.
Le plus célèbre de ces évangiles est celui du Jugement dernier (Mt 25,31-46, année A), où il nous est dit que la valeur suprême, pour les disciples du Christ, est la charité en actes. Cela se voit dans nos mains qui nourrissent l’affamé, donnent à manger ou à boire à qui en a besoin, comme dans les visites que nous faisons aux malades ou aux prisonniers.
Le dialogue de Jésus avec Pilate est le texte le plus élevé, le plus audacieux (Jn 18,33-37, année B). Il nous fait assister à la confrontation entre un juif, condamné à mort, et le procurateur de la puissance occupante, que la réponse de Jésus désarçonne complètement: « Je suis roi, tu l’as dit. Je suis venu pour rendre témoignage à la Vérité. » Voilà un second aspect de sa royauté.
Mais le plus émouvant des trois évangiles, c’est sans doute celui d’aujourd’hui, où l’on voit Jésus, dans un dénuement total, capable encore d’ouvrir les portes du Royaume à son compagnon d’infortune. Il dit au bon larron: « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis. » Il accueillera, dans le Royaume de son Père, ce criminel mourant à ses côtés.
Nous, les disciples du Christ, nous participons à cette seigneurie, et nous la confessons en fêtant le Christ, Roi de l’Univers. Nous en avons reçu le signe et le symbole par l’onction du saint chrême au jour de notre baptême. Nous pouvons donc nous poser des questions toutes simples: « Mes mains sont-elles engagées dans le service des pauvres ? »; « Mon intelligence se déploie-t-elle avec une liberté souveraine par rapport à la logique de la puissance qui gouverne le monde ? »; « Mon cœur est-il tourné vers le paradis pour inviter les autres, surtout les perdus de la terre, à y entrer, puisque nous avons tous notre place préparée dans le Royaume ? »
En contemplant la scène décrite par l’Évangile de ce dimanche, nous pouvons reprendre la question des Semaines sociales: « Que ferons-nous de l’homme ? »
Qui d’entre nous peut prévoir le futur ? Qui aurait cette audace ? Toutefois, l’éclairage donné par le présent n’est guère réconfortant. Les conférences de ces jours nous montrent ce que l’homme aujourd’hui fait – ou peut faire – de l’homme, avec toutes les prouesses de la technique et de la science. « L’homme ne trouve pas en lui-même sa règle », disait Blondel.
Si le futur n’est pas prévisible, et si le présent est inquiétant, qu’en est-il du passé ? Nous apporte-t-il une réponse et des éléments de compréhension sur ce que l’homme fait de l’homme ? Les Écritures ne nous épargnent pas le trouble.
À commencer par l’Évangile d’aujourd’hui. Qu’ont-ils fait de Jésus, ceux qui auraient dû reconnaître en lui le Messie ? Ils l’ont crucifié. Et mourant, il subit les ricanements et les moqueries, lui, l’homme parfait, le Fils, l’Image du Dieu invisible. Alors qu’il a voulu tout réconcilier, qu’il a passé sa vie entière à faire le bien, voilà ce que nous avons fait de lui: objet d’infamie !
Et nous, les hommes, qu’avons-nous fait de notre frère ? Cette question traverse toute la Bible et rejoint également nos vies. J’interroge l’Évangile, en demandant aux scribes et aux pharisiens: « Qu’avez-vous fait de cette sœur, cette femme que, paraît-il, vous avez prise en flagrant délit d’adultère ? » Vous avez réclamé sa lapidation. Je peux aussi me tourner vers Marthe et Marie, si affectueusement liées au Seigneur, et leur poser la question: « Qu’avez-vous fait de votre frère Lazare ? » Vous n’avez rien pu faire pour le guérir ou le sauver.
Mais, en parcourant l’Évangile, je rencontre aussi des merveilles: « Toi, le bon Samaritain, toi, l’hôtelier auquel ce blessé a été confié, qu’avez-vous fait de votre frère ? » Vous vous êtes dépensés pour lui, vous l’avez pris sur votre monture et sur vos épaules, et dans votre cœur, pour qu’il soit soigné, guéri, sauvé. « Et toi, André, qu’as-tu offert à ton frère Pierre ? Tu l’as pris par la main et tu l’as conduit au-devant du Christ en lui disant: « Nous avons trouvé le Messie. » »
Voilà ce que les hommes font de leurs frères.
Dans l’encyclique sur la vie humaine, Evangelium vitae, le pape remonte à la source, à l’origine de cette question, dans la Genèse: « Qu’as-tu fait de ton frère ? » Question posée à Caïn, dont vous connaissez la réponse: « Suis-je le gardien de mon frère ? » Cette attitude traverse toutes les générations. Que de fois cette réponse est sur nos lèvres, quand nous disons: « Ah ! ça ne me regarde pas, c’est son problème, ce sont ses affaires; je ne vais pas m’en mêler. » Méditant sur cette démission, sur la lâcheté de cette réponse, le pape nous donne un axiome: « Oui, tout homme est le gardien de son frère, car Dieu confie l’homme à l’homme. »
Pas plus que vous, je ne sais ce que nous ferons de l’homme. Mais je vois dans l’Évangile d’aujourd’hui ce que le Christ a fait du bon larron. Je vois que les portes du paradis se sont ouvertes pour ce criminel, je sais qu’il y entrera aujourd’hui. Ce bel aujourd’hui de saint Luc que le cardinal Billé expliquait de façon émouvante à Lourdes, il y a trois semaines, en commentant l’évangile de Zachée (Lc 19,1-10). Nous ne nous faisons aucune illusion sur nous. Comme le dit le bon larron: « Pour nous, c’est juste; après ce que nous avons fait, nous avons ce que nous méritons. »
Je ne sais pas ce que les hommes pourront pour moi; je ne sais pas ce que tous ensemble, nous pourrons pour eux. Mais toi, Seigneur, Roi de l’Univers, toi l’Homme véritable – « Ecce homo » -, je sais ce que tu fais, ce que tu pourras faire pour nous. Je sais, comme le dit la seconde lecture, que tu es le premier-né de toute créature, celui en qui tout subsiste – tout « fait système (1) » – et trouve son accomplissement total. Tu es le seul à propos duquel je tolérerai l’utilisation du mot si dangereux de « système », dont on a tellement abusé depuis deux siècles, aussi bien du point de vue philosophique que politique. Nous savons que si nous décidons de dépendre de toi, le vrai Roi de l’Univers, et de faire dépendre le monde entier de toi, « nous marchons – selon la belle expression de Maurice Blondel – vers notre propre naissance ».
Dans le diocèse de Moulins où j’exerce le ministère qui m’est confié, les deux mots principaux de la province du Bourbonnais sont espérance – devise de la famille des Bourbons – et allen, mot rapporté d’Allemagne, qui signifie « tous ». J’aime relier ces deux mots à l’Évangile d’aujourd’hui, car, dans cet Évangile, je sais que je peux – ou plutôt que je dois – espérer pour tous.
Vous comprendrez, frères et sœurs, pourquoi, en terminant cette homélie, je voudrais me tourner vers le troisième personnage dont on parle si peu: l’autre condamné, celui que personne d’entre vous, j’espère, n’ose appeler « le mauvais larron ».
J’aime le regarder. Quand nous savons les mots qui peuvent monter à nos lèvres lorsqu’une contrariété survient dans nos vies, il est facile de comprendre cet homme et de lui pardonner d’avoir eu des propos offensants dans la situation désespérée où il se trouvait: « N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même, et nous avec ! »
Cependant, alors qu’il profère ces paroles, il est aussitôt repris par son compagnon d’infortune: « Tu n’as donc aucune crainte de Dieu ! » Lui parler comme cela, à lui qui « n’a rien fait de mal » ! Et cet homme, ce condamné à mort, placé à l’autre côté de Jésus, est le témoin, l’auditeur d’un dialogue extraordinaire, qui ne peut pas ne pas avoir eu une résonance profonde en son cœur. Souvent, en regardant ce troisième homme du Golgotha, je me dis qu’il reprend en secret les mots mêmes qu’il vient d’entendre de son compagnon: « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Royaume. » Est-il possible que, dans le dialogue dont il a été le témoin, il n’ait pas découvert, lui aussi, le chemin du salut ?
Voilà ce que le bon larron a fait de son frère. Voilà ce que nous pouvons pour les autres hommes. En trouvant notre place dans celle du bon larron, peut-être arriverons-nous, pauvres petits hommes de la terre, à rendre un service analogue à nos frères et sœurs, en leur montrant le chemin du Royaume, en permettant que les portes du paradis leur soient ouvertes, car il est possible – et il est de notre devoir – d’espérer pour tous.
Mgr Barbarin
Evêque de Moulins
Président du Comité épiscopal pour la santé
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1. Le verbe grec, traduit ici par « subsister », est celui qui a donné le mot « système ».
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